Agnès b. , ligne vestimentaire qui habille les stars, est aussi une entreprise de mécénat culturel dirigée par Jean-François Sanz, 36 ans, commissaire de l’expo Des jeunes gens mödernes. Flash-back.

Une mode qui fait Sanz. Au rez-de-chaussée d’un vaste bâtiment près du Canal Saint-Martin, dans la blancheur fétiche d’Agnès b., s’exposent des images, pour la plupart en noir et blanc, de la guerre à Sarajevo (1). La créatrice de mode fortunée s’intéresse au monde, soutient un Centre André Malraux en ex-Yougoslavie et donne de l’espace aux images. Pas étonnant qu’elle et Sanz aient pioché une expo, co-édité un livre et sorti une compilation CD sur le mouvement qui, de 1978 à 1983, a secoué la France (2).

Vous commencez dans la mode au mitan des années 70, dans ce que l’on appelle alors le Trou des Halles où passent aussi pas mal de rockers, poseurs et pré-punks!

Agnès b.: Oui, les Halles n’étaient pas encore construites et le trou était régulièrement noyé d’eau, ce qui donnait l’impression d’habiter au bord de la mer. Je décollais des bouts d’affiches des palissades pour inspirer la création de t-shirts. Les gens de Bazooka, Pacadis, Edwige, Jacno venaient à la boutique et ensuite à la galerie. Leur look était une réaction aux années hippies: là, tout à coup, ils s’habillent près du corps, straight et cultivent l’apparence anguleuse. Les filles, très stylisées, portent des jupes droites avec des talons… Tout cela faisait penser à la modernité des années 60, Anna Karina dans les films de Godard. Il y avait incontestablement un côté dandy: musique et mode se sont toujours nourris l’un de l’autre.

Jean-François Sanz: Marquis de Sade étaient contemporains de Joy Division: sans se connaître, il y avait des similitudes. Les costards, les gestes de Philippe Pascal en scène…

Mais pour la première fois en France, un mouvement n’est pas suiveur des Anglo-Saxons, rejette la culture américaine, sauf New York, et se nourrit de références européennes, de l’expressionnisme allemand, d’Egon Schiele, du constructivisme russe. Avec le punk qui est passé par là, signant le début de la fin des grands idéaux: on entre dans une période rétro-futuriste. Avec l’arrivée de synthés abordables, de boîtes à rythmes, qui changent le son.

La fameuse couverture d’Actuel en février 1980 donne une vitrine publique au mouvement!

JFS: Oui, Jean-François Bizot (directeur du magazine) aimait beaucoup Marquis de Sade et les a mis en couverture avec leurs mamans, sauf celle de Philippe Pascal qui a refusé de voir sa mère prise en photo et a choisi la mère de quelqu’un d’autre ( rires). A partir de ce moment-là, Jeunes gens modernes est devenu une expression courante.

Le mouvement est, de fait, hétéroclite: entre Pierre & Gilles qui sanctifient leurs sujets et Bazooka qui met le souk, peu ou pas de point commun!

JFS: En 77-78, les membres de Bazooka travaillent directement au marbre de Libération (dernière étape avant l’impression) et manipulent des symboles totalitaires dans un journal encore très marqué par le gauchisme. Les journalistes, furieux, en viennent régulièrement aux mains avec eux: cela a quand même duré 6 mois. Aujourd’hui, je ne vois pas quelle publication oserait pareille chose…

Qu’est devenue la génération des Jeunes gens mödernes?

JFS: Un moment, vers 1983, l’underground bascule dans autre chose, la new wave devient mainstream, la période charnière se termine… Dans la foulée, pas mal de JGM mourront par overdose ou par le sida qui déferle. Aujourd’hui, Philippe Pascal promène son chien à Rennes, vit en famille. Yves Adrien, dont l’influence a été prépondérante, a lui-même déclaré être mort en 2001, aujourd’hui, il se fait appeler 69X69, exécuteur testamentaire d’Yves Adrien. Celui qui s’en est le mieux tiré, c’est Daho, le prototype du jeune homme moderne…

Le mouvement n’a pas vraiment essaimé à l’étranger, est resté discret en Belgique…

JFS: Je tenais à un ancrage belge: Marc Hollander de Crammed Discs et Annik Honoré pour les Disques du Crépuscule m’ont confié de nombreux documents qui seront exposés à Bruxelles. Les Tueurs de la Lune de Miel étaient dans cet esprit-là, Polyphonic Size également: je les ai d’ailleurs convaincus de se reformer pour l’occasion. Ils donneront un concert le 5 mai à la Maison du Peuple à Saint-Gilles… l

(1) Notre histoire se tient jusqu’au 3 mai chez Agnès b, 17 rue Dieu

75 010 Paris.

(2) Des jeunes gens mödernes, Post-Punk, Cold Wave et Culture Novö en France 1978-1983 et double CD chez Naïve/Agnès b., www.agnesb.com

Rencontre Philippe Cornet, à Paris

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