AVEC UN AN DE RETARD, LA CAPITALE CONGOLAISE A ACCUEILLI DU 7 AU 13 SEPTEMBRE SES PREMIÈRES FRANCOFOLIES. NOA MOON RACONTE SON PÉRIPLE EN IMAGES.

Prévues en septembre 2014 mais annulées à cause du virus Ebola, du climat de psychose suscité par cette fièvre hémorragique, les premières Francofolies de Kinshasa ont vécu du 7 au 13 septembre dans la capitale congolaise. Si l’événement avait pour principale mission de promotionner des artistes du pays hôte (un pays auquel les vedettes européennes font rarement les honneurs d’une visite), quelques Français et Belges ont pu goûter à son sens de la fête. Manon De Carvalho Coomans, alias Noa Moon, partage ses souvenirs d’une semaine folle et humainement intense qui n’aurait laissé personne insensible.

1 Une question de survie

« Les Francofolies m’ont proposé d’aller à la rencontre de Dynamo, une association qui cherche à encadrer les enfants de rue et à les ré-intégrer dans la société. A Kinshasa, les jeunes sont parfois rejetés par leurs propres familles. Souvent pour cause de maladie et par manque d’information… Mais certain parents prétendent aussi que leur gosse, pas du tout malade, a le mauvais oeil. Que c’est un enfant sorcier. Qu’il a le mal en lui. Et ils le virent de la maison. D’autres mioches seraient rejetés dans des familles recomposées… Ou par des familles nombreuses aux conditions extrêmement précaires, qui n’arrivent plus à les prendre en charge. Leur situation pose énormément de questions. J’ai passé une matinée avec eux. Ils ont chanté avec une force incroyable contre les violences faites aux femmes et celles dont sont victimes les enfants. Tu as envie de pleurer en les écoutant parce que tu réalises rapidement que ces histoires, ce sont les leurs. Et que les gens là-bas ont besoin de les entendre. Peu d’informations circulent sur les maladies, le suivi psychologique des enfants. Or, c’est parfois une question de survie.

Là-bas, mis à part les plus aisés qui habitent dans de grandes maisons entourées de murs hauts et de fils barbelés, très peu de gens semblent avoir la télévision. Par contre, la population écoute beaucoup la radio. Et c’est souvent par la musique que passe l’information, et parfois des consignes de prévention.

Quand on a dit en lingala à ces jeunes que j’étais en ville pour les Francofolies, ils m’ont poussée à chanter avec eux. Je n’ai pas l’habitude des jams. Ils m’ont sortie de ma zone de confort et on a improvisé tous ensemble pendant un quart d’heure. Un des temps forts de mon voyage. »

2 Pas les Anglofolies

« J’étais déjà censée participer aux Francofolies de Kinshasa l’année dernière avant que l’édition soit annulée à cause du virus Ebola. Ce voyage, j’ai donc finalement eu un an pour le préparer. Il y a autant de monde à midi qu’à minuit à Kinshasa. C’est une ville bouillonnante qui ne dort jamais. Parce que les gens vivent à un autre rythme mais aussi parce qu’ils doivent gagner leur vie et ne s’arrêtent que quand ils ont gagné leur journée. Tu ne peux pas aller partout. Ce n’est pas la ville la plus safe d’Afrique, le vol et la corruption y sont malheureusement présents. J’ai mis du temps à digérer certaines rencontres… Mais les gens n’ont pas le choix. C’est ça ou rien. Les flics parfois ne sont pas rémunérés pendant six mois voire un an. Ils doivent nourrir leur famille. Et toi, tu ne le comprends pas avec ta mentalité d’Européen. Tu sors de ton hôtel où tu as payé ton coca 6000 francs congolais, soit entre 10 et 20 % du salaire moyen… J’ai mis du temps en rentrant à digérer tout ce que j’ai vu et entendu. Après deux ou trois jours à Kinshasa, tu arrêtes de prévoir trop de choses. Tu laisses venir les événements à toi. Mais j’ai tout de même proposé aux jeunes de Dynamo de me rejoindre sur scène pour un morceau. Je ne savais pas combien ils seraient, avec quoi ils allaient débarquer. Je leur ai dit de venir avec deux grattes acoustiques mais du matériel était déjà prêt pour les concerts suivants. Ils se sont assis derrière la batterie, ont fait hurler les guitares électriques. C’est joliment parti en freestyle. Ils ont chanté à fond de balle. Avec tout leur coeur. J’ai eu l’impression de retourner à mes premiers concerts, quand je jouais avec mes potes à 17-18 ans, et que tout paraissait beaucoup plus spontané. Quant au public, il est assez franc. J’ai entendu un mec crier: « C’est pas les Anglofolies ici… » Mais quand tu vas les chercher, les spectateurs réagissent au quart de tour et l’échange est génial. Ils t’inventent des harmonies. T’improvisent des paroles. Ce sont les chansons les plus festives, les plus emballées qui marchent le mieux là-bas. La musique chez eux, c’est la fête. Elle n’est pas faite pour déprimer. Ils te parlent de maladie, de trucs super graves sur des airs de teuf.  »

3 The sound of Belgium

« Je n’étais pas la seule Belge à ces Francofolies. Philippe Lafontaine et Daan ont joué au même endroit que moi. Au centre Wallonie Bruxelles. Une petite salle d’environ 200 personnes qui accueille apparemment des spectacles et de la musique toute l’année. Chacun est venu avec son univers. Daan a une musique plus particulière mais c’était un chouette défi aussi d’amener à Kinshasa un projet comme le sien. Il était en solo avec sa loop station, un clavier et une guitare électrique. Le public? Des invités, des expatriés… Mais j’ai aussi l’impression qu’à mon concert, il y avait pas mal de Kinois. 200 personnes sur 11 millions d’habitants que compte la ville, c’est évidemment minuscule. Et les tickets pour les concerts de rap au Théâtre de Verdure coûtaient entre 20 et 25 dollars, soit la moitié d’un salaire mensuel moyen. Mais les Francos ont entrepris pas mal d’initiatives à côté. Que ce soit avec des écoles ou des associations. Les organisateurs ont amené du matériel qu’ils ont laissé sur place et des techniciens des Francos formaient, je pense, des gens pour que ce matériel puisse être utilisé correctement. Le problème réside souvent dans l’entretien. Beaucoup de choses arrivent là-bas en provenance d’Europe. Elles fonctionnent très bien pendant six mois mais après l’appareil pète pour une raison ou une autre et les gens n’ont pas toujours de formation pour les réparer. Dans n’importe quel sujet, dans n’importe quel domaine. Pour moi, cette première édition est plus marquée par l’échange que par le concert en lui-même.  »

4 Mieux qu’une VHS

« Il y a deux ans, j’étais déjà partie à Kinshasa pour Action Damien qui lutte contre la lèpre et la tuberculose. J’étais marraine de l’association et j’avais été invitée à passer cinq ou six jours en ville. Une expérience assez intense. J’avais visité leur centre. Quand tu es à l’école, tu es amené à vendre des bics, on te montre des vidéos de gens qui doivent se battre pour avoir accès à des médicaments. Mais là, j’avais pu lever un peu le voile sur ces choses dont on n’a qu’un aperçu chez nous. Ça m’a permis de me rendre compte de ce que ça représente vraiment. J’avais rencontré énormément de malades, limite un peu trop au bout d’un moment. Les premières rencontres sont hyper fortes, mais tu finis par te sentir dépassée. Tu te dis: je pourrais en rencontrer 10 000, des familles comme ça, sans parvenir à les aider. Tu as des gars au bout de leur vie, dans des pièces sales sur un vieux tapis en train d’essayer de se soigner. Et vu qu’il y a un reportage filmé, on te dit: « Vas-y, chante lui une chanson! » Je l’ai fait une fois. Mais c’était inapproprié et puis tu ne peux pas craquer devant ces gens courageux dont c’est le quotidien.

Mon rôle était de témoigner dans les écoles belges. J’ai essayé de partager mon point de vue, de faire comprendre qu’on pouvait tous apporter notre pierre à l’édifice. J’avais 22 ans. C’était mieux qu’un prof de religion avec sa vieille VHS. Avant de rentrer en Belgique, j’ai pris une journée pour retourner voir des gens de l’association. »

RENCONTRE Julien Broquet, PHOTOS Boris Görtz

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