Ruby sur l’ongle

Écrivain israélien établi à New York, Ruby Namdar brosse un mille-feuilles halluciné sur le tourbillon de la « midlife crisis ». Entre autres prophéties.

Professeur de culture comparée à l’université de New York, Andrew P. Cohen est un intellectuel dans l’air du temps. Huit ans après son divorce avec Linda, il s’amourache d’Ann Lee, deux fois plus jeune que lui. « L’image du professeur poussiéreux et de son étudiante papillota dans son esprit puis s’éteignit, pour ne laisser qu’un goût amer, médicinal. » Quand il ne se prélasse pas devant les pages Arts & Loisirs du Sunday Times, l’élégant chercheur peaufine ses cours et s’affaire tel un maestro devant ses fourneaux. Progressivement, d’étranges visions viennent dérégler son ordinaire bien rangé. Quelque chose est en train de se produire, quelque chose de louche. Qu’entendait Bernie, l’éternel rebelle du très sérieux département de sociologie, lorsqu’il lui souffla: « Il faut arrêter de faire semblant de ne pas voir toutes ces autres forces qui opèrent… » Et pourquoi cette fascination soudaine pour la copie anonyme qu’Andrew est en train de corriger, atypique et provocante:  » Traité sur les constructions de la conscience et la réalité construite« . Une plaque rouge s’étend désormais sur toute sa joue droite, des flashes illuminent sa conscience comme les derniers éclairs d’un orage, Andrew chute au fond d’un abysse. C’est alors qu’un énorme taureau, blanc comme la neige, apparaît au coin de la rue et s’approche du cercle de lumière (…) « En gros, mon ami, veille donc à ce qui se passe sous ton nez -sous ton nez! Je ne peux pas t’en dire plus. »

Ruby sur l'ongle

Y’a d’la rumba dans l’air

« Laissez donc le cours du temps s’écouler paisiblement, et que rien ne l’interrompe! » Professeur de littérature juive, spécialiste des textes religieux, Ruby Namdar publie ce premier roman à 50 ans (Lauréat du Sapir Prize, équivalent israélien du Booker Prize). Foisonnant, découpé en sept livres séparés par des extraits du Talmud, c’est un ouvrage tour à tour érudit, joueur, flâneur, inquiétant, où s’érige une histoire tout en excès pour conter les affres de la « midlife crisis ». « Toutes ces années de recherche prolifique, créative, visionnaire? Cela n’avait pas donné grand chose. » À 20 ans comme à 60, tout le monde est esclave du système. Tandis que l’aquafortiste travaille le mordant acide de ses visions aux confins de la folie, on croise les fantômes de Robert Altman, Fellini, Barthes, Nietzsche… Roth aussi ( La Tache, Pastorale américaine) évidemment, dont l’empreinte est partout: « Ce qui s’était passé par la suite semblait là encore tout droit sorti d’un roman de Philip Roth. » Au bout du conte, toutes les rues mènent à Manhattan. Si les tours jumelles demeurent hors-cadre, elles sont le pivot d’une figure centrale: la destruction du temple. Distillant un puissant venin, d’insondables mystères, un vertige, La Maison de ruines invite à une dégringolade. Sous influences, une étude minutieuse de la folie, de la spiritualité, une mystique de cette fragilité trop humaine se mettant la rate au court-bouillon, le corps comme véhicule de l’identité sociale. « Le rite de passage le plus humiliant de l’ère moderne était sans doute la coloscopie, ce virage dont les hommes ressortaient transformés en petits vieux sans défense (…) ».

La Maison de ruines

De Ruby Namdar, Éditions Belfond, 564 pages.

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