Rotterdam, le laboratoire du cinéma

L'Extraordinaire Voyage de Marona

S’appuyant sur un plateau prestigieux, de Bong Joon-ho aux frères Safdie, la 49e édition du IFFR a aussi confirmé sa vocation de tête chercheuse du cinéma mondial. Coup de sonde.

Organisé fin janvier, l’International Film Festival Rotterdam (IFFR) ouvre traditionnellement l’année des festivals internationaux de cinéma, Berlin suivant dans la foulée avant, quelques mois plus tard, l’incontournable raout cannois. Plus que ceux-là encore, le rendez-vous hollandais, dont la 49e édition s’est clôturée le week-end dernier, s’est imposé, au fil du temps, comme tête chercheuse du cinéma mondial. Un simple coup d’oeil au palmarès des Tiger Awards suffit à s’en convaincre, qui ont couronné, ces 20 dernières années, le Britannique Christopher Nolan pour son premier long métrage Following, le Chinois Lou Ye pour Suzhou River, l’Argentin Pablo Trapero pour Mundo grúa, le Taïwanais Lee Kang-sheng pour The Missing, l’Américaine Kelly Reichardt pour Old Joy, ou encore le Coréen Lee Su-jin pour A Capella. Et l’on en passe, la manifestation suivant, avec les ans, un tropisme asiatique toujours plus affirmé, les Chinois Zhu Shengze (le documentaire Present.Perfect) et Cai Chengjie ( The Widowed Witch) ayant ainsi succédé à l’Indien Sanal Kumar Sasidharan ( Sexy Durga) au tableau d’honneur des dernières éditions.

Tendance confirmée par le millésime 2020, le cinéaste chinois Zheng Lu Xinyuan obtenant le Tiger Award pour The Cloud in Her Room, tandis que le Sud-Coréen Kim Yong-hoon se voyait décerner le prix du jury pour Beasts That Cling to the Straw, la version noir et blanc de Parasite, de Bong Joon-ho, obtenant pour sa part le prix du public. Une manière aussi de saluer l’ADN du festival, privilégiant les découvertes (au travers notamment de son volet Bright Future) sans être fermé aux artistes confirmés (la section Voices accueillant des avant-premières choisies, de Ema de Pablo Larraín à Little Women de Greta Gerwig, en passant par Filles de joie de Frédéric Fonteyne et Anne Paulicevich, ou Muidhond de Patrice Toye, deux des nombreux films belges proposés). Cela sans négliger ni les enjeux sociaux ou politiques (au coeur du programme Perspectives, avec, entre autres, une sélection de films hongkongais) ni le monde du cinéma (avec un Deep Focus où l’on pouvait apprécier une rétrospective Marion Hänsel, parmi d’autres). À charge, du coup, pour le spectateur de butiner selon l’humeur du moment.

Parasite
Parasite

L’un des événements de cette édition aura donc consisté en la présentation, suivie d’une master class, de la version noir et blanc du Parasite de Bong Joon-ho, Palme d’or lors du dernier festival de Cannes. Une démarche dont la nécessité artistique n’est pas apparue criante à l’autopsie, ce qui n’ôte rien aux immenses qualités d’un film que son réalisateur s’apprête maintenant à développer en mini-série de six heures pour HBO -affaire à suivre, en tout état de cause. Autre événement, la projection exceptionnelle de Uncut Gems, nouveau brulot décoiffant des frères Safdie ( Good Time) destiné à Netflix ( lire aussi en page 38). C’est peu dire que le film, une course nerveuse sur les pas d’un bijoutier borderline campé par un Adam Sandler halluciné, prend toute sa mesure sur grand écran. Incontestable réussite, ce ballet new-yorkais frénétique n’est pas sans évoquer le Martin Scorsese de la grande époque (lequel figure d’ailleurs au générique au titre de producteur exécutif).

Exploration tous azimuts

La suite aura dispensé un parfum d’inattendu, au travers notamment d’un brelan de productions asiatiques. On ne s’attardera pas outre mesure sur Happy Old Year, du réalisateur thaïlandais Nawapol Thamrongrattanarit, l’histoire d’une jeune femme qui, de retour au pays après un séjour en Suède, décide de vider totalement la maison familiale pour la transformer en espace de travail au décor minimaliste. Et les souvenirs de refluer à mesure qu’elle met son singulier projet à exécution, et avec eux un sentimentalisme noyant bientôt le propos. Plus intéressant, A Love Unknown de John Clang, déploie, à New York et Singapour, les destins parallèles de deux femmes en proie à une dépression profonde, une mère et sa fille adulte qu’elle avait abandonnée encore enfant. Arpentant le lien souterrain les unissant -elles ignorent leur existence respective-, le film, tourné en noir et blanc et sur supports divers, n’échappe pas toujours à la tentation poseuse. Pour autant, il laisse une impression tenace, osant un jusqu’au-boutisme désespéré en prise sur l’air du temps.

Dwelling in the Fuchu Moutains
Dwelling in the Fuchu Moutains

Dwelling in the Fuchu Moutains, de Gu Xiaogang, adopte, pour sa part, une forme plus classique. Inspiré d’un rouleau peint au XVe siècle par Huang Gongwang, le film décline au rythme des saisons le destin de trois générations d’une famille de Fuyang (interprétée par des non-professionnels) qu’il adosse aux mutations de la Chine contemporaine. On se laisse flotter avec bonheur au gré des 150 minutes de cette fresque décomposant et recomposant le paysage familial avec un art consommé du récit comme de la mise en scène. Gu Xiaogang, un cinéaste autodidacte, signe là un premier film parfaitement maîtrisé, confirmant l’excellente santé du cinéma chinois. Il en émane un profond sentiment de sérénité, voisin de celui que l’on éprouve à la découverte de L’Extraordinaire Voyage de Marona, fable philosophique à l’esthétique foisonnante que signe Anca Damian, avec le concours notamment de Brecht Evens. Une perle animée pour un festival pratiquant l’exploration tous azimuts, et un film que l’on pourra découvrir dans quelques jours en ouverture d’Anima…

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