Rompre les digues

Héritier d’une grosse fortune, Renaud de Jaeger ne cesse de se plaindre de son fardeau d’oisiveté. Ses proches François et Brigitte épongent les humeurs du dandy toxico et misanthrope. Le premier est en passe de se faire virer du chômage, la seconde offre le gîte aux éclopés d’Afrique en attente d’un passeur vers l’Angleterre – « La MILF et le Migrant. L’avenir du monde ». Quant à Sonia, prostituée attitrée de Renaud, elle pense retourner en Moldavie après une dizaine d’années en Europe de l’Ouest. L’arrivée de Téodora Paz comme gouvernante au service de Renaud va chambouler l’équilibre déjà précaire et électrique. S’interdisant de penser à son pays, la Salvadorienne, redoutable fille de gang, atterrit en Belgique, où « un jour pas si lointain, on ne pourra plus parler français au nord de Bruxelles sous peine de mort ». Dans des décors d’Ensor, Emmanuelle Pirotte renverse le contenu de vies cabossées, malles anciennes rongées par le sel de l’amertume. Attentive aux tourments de l’âme, elle brosse les vagues de migration s’échouant sur les dunes d’orgueil et du mépris de classe. Au travers d’une galerie d’écorchés vifs, l’autrice sonde la torpeur émotionnelle occidentale, ce qui s’est perdu dans le contemporain déraciné. Dans des portraits de femmes fortes dessinés au couteau miroitent quelques visages obsédants, aperçus chez Fernand Khnopff ou le Liégeois Armand Rassenfosse, et une lueur d’espoir. « Dehors, les guirlandes lumineuses clignotent tristement, comme les bijoux de pacotille d’une belle femme sur le retour. »

D’Emmanuelle Pirotte, éditions Philippe Rey, 272 pages.

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