Katy Perry se dévêtit pour la pochette de son nouvel album. Erykah Badu se clippe dans son plus simple appareil là où JFK a été assassiné. Et des tas de mecs, sur scène, continue de se désaper… En 2010, le rock et la pop aiment encore et toujours se mettre à nu. Anecdote, provocation ou subversion?

Sexy Sushi se produit les seins à l’air et invite ses fans à tomber les textiles. Katy Perry pose dévêtue sur la pochette de son nouvel album, Teenage Dream, et se demande ce que va penser son père, pasteur, en la voyant dans les bacs des disquaires. Quant à Erykah Badu, elle est condamnée à 500 dollars d’amende et 6 mois de mise à l’épreuve pour s’être effeuillée dans le clip de Window Seat, son dernier single, là même où John Fitzgerald Kennedy a été abattu le 22 novembre 1963 à Dallas.

Josephine Baker a construit sa notoriété dès les années 20 autour de son corps. On trouve sur Internet des nus de Janis Joplin et de Patti Smith. Et les Slits posaient les tétons au vent, couvertes de boue, sur la pochette de Cut en 1979. N’empêche, en 2010, les filles de la pop et du rock semblent plus libérées que jamais… Selon le sociologue David Le Breton, professeur à l’Université de Strasbourg, spécialiste des représentations et des mises en jeu du corps humain, il reste cependant fondamentalement différent de s’exposer aux regards quand on est une femme…  » L’homme qui se déshabille affiche sa virilité. Montre qu’il en a. Le type qui sort son sac pour en intimider ou provoquer un autre dans une rixe de café, c’est courant. Il pose souvent un acte machiste. La femme, elle, se place dans une position de vulnérabilité. Chez la femme, la mise à nu est quelque part, comme le disait Georges Bataille, l’équivalent d’une mise à mort. L’acte en lui-même est très fort. Et donc forcément plus subversif.  »

En attendant, chez l’un comme chez l’autre, l’effeuillage a perdu de sa force. On vit tout de même à une époque où les rugbymen et les postiers posent nus sur des calendriers.  » En 2010, la nudité en tant que telle est moins une subversion qu’une coquetterie. Son côté surprenant, puissant, percutant a été rogné. Elle est dans la plupart des cas un simple signe d’encanaillement.  »

A l’image, elle est même devenue d’une profonde banalité tant elle appartient à notre quotidien. Aseptisée par le marketing. Pour surprendre, déranger avec un corps, il faut désormais se lever tôt et pousser le bouchon bien loin comme dirait Maurice.

 » Quand vous vous promenez au Louvre, vous vous rendez compte qu’une bonne partie de l’art est basée sur des filles nues. Je ne vois pas ce qu’il y a de scandaleux à la nudité d’une femme, fait remarquer Alice Cooper, le roi du rock théâtral. Je n’ai jamais utilisé la nudité dans mes shows. Je trouve ça facile. Mais l’art à mes yeux est censé provoquer et je peux comprendre ce qu’Erykah Badu recherchait.  »

Engagé, naturiste ou porno…

Le contexte. Tout reste encore et toujours une question de contexte. De contexte et de démarche. Car la nudité dans la musique, ça va quand même du groupe de rock naturiste Shane Gentry and the Nekkid Monday Band, qui défend un mode de vie disons organique, au groupe féminin carrément porno, Rockbitch, qui envoie un « golden condom » dans le public et couche sur scène avec l’heureux spectateur qui est parvenu à l’attraper.

Quand Beth Ditto, la chanteuse de Gossip, déballe ses kilos en couverture du New Musical Express, la nudité prend évidemment du sens.  » L’obésité, la mutilation, le handicap… Toutes ces caractéristiques qui attirent les regards dans les rues et ne sont pas considérées comme attirantes confèrent à la nudité un vrai pouvoir de subversion« , remarque David Le Breton.

 » Dans nos sociétés, une femme, ça ne pète pas. Ça ne rote pas. Et ça ne se fout pas à poil. Nous ne sommes toujours pas sur un pied d’égalité, embraie Dirty Wolf, l’exhibitionniste le plus célèbre du rock belge, chanteur et guitariste de l’Experimental Tropic Blues Band. Alors quand Beth Ditto pose sans ses fringues, incarne la libération de la femme forte, j’applaudis des 2 mains. La cellulite et les rondeurs ne choquent plus. La liberté rend beau. »

Dirty Wolf, ce n’est pas la nudité froide sur papier glacé. C’est plutôt le grand sur scène. Face à son public. Histoire de faire monter la température. D’amuser la galerie. Et éventuellement de faire réfléchir…  » Je perçois la démarche comme un cadeau. La première fois que j’ai vu un musicien à poil sur scène, pendant un concert de Jesus Lizard, je me suis pris une vraie claque. Ça n’avait rien de malsain. On sentait bien qu’il s’agissait d’un jeu. Moi, j’ai commencé le strip-tease lors d’un concert un peu fou. Ça m’a amusé et je suis tombé dans une espèce d’engrenage. J’ai parfois, dans mon propre chef, senti la démarche racoleuse. Je suis maintenant emmerdé quand j’ai le sentiment que les gens viennent davantage pour voir ma clinche que pour écouter Tropic. Malgré tout, les spectateurs ont quand même souvent l’air surpris et interloqués. »

 » La mise à nu en public, même dans une société libérale et affranchie qui pense avoir tout vu et tout fait, reste dans le chef de l’artiste une quête de stupeur, estime le critique d’art Pierre Sterckx. Il cherche à interpeler d’une manière ou d’une autre. Il y a quelque chose de plus fort que de baisser sa culotte.  »

Il faut évidemment distinguer la nudité en clubs et celle qui fait vendre les émissions de télé, les films et les magazines.  » Dans une salle de concert, on a le corps devant soi. Sous son nez. Souvent même, on peut ou pourrait le toucher, note David Le Breton. Mais pas question d’éteindre, de changer de chaîne ou de tourner la page… Puis, il y a la force de la matérialité. L’image, elle, est surtout propre au fantasme.  »

La nudité a ses frontières. En 2001, Nick Oliveri, le bassiste des Queens of the stone age s’est fait arrêter par la police brésilienne pour avoir joué au festival Rock in Rio tout nu derrière son instrument. Il a d’abord été invité à enfiler un pantalon mais, s’il n’y est resté que 10 minutes, il a tout de même été emmené au poste de police. Un détail à côté des Black Lips qui ont dû fuir l’Inde pour éviter la prison de Chennai, sa violence et sa tuberculose…

En même temps, Dirty Wolf a déjà dû s’expliquer chez les flics après un concert à Burdinne.  » Je ne me désape pas l’après-midi, dans un contexte familial ou quand je vois des gosses au milieu du public. Alors, je me dis que si ça avait été plus loin, on aurait quand même fameusement régressé… En attendant, des mecs ont déjà voulu me casser la gueule parce que leur s£ur m’avait vu tout nu. Ils me crachaient dessus. Pleins de haine. J’espère qu’ils y ont réfléchi le lendemain. Je veux aussi que les gens changent d’état d’esprit. On n’est plus au Moyen Âge.  »

Iggy Pop est assurément l’un des pionniers du rock à poil. L’Iguane, qui en appelle à des raisons personnelles quand il s’agit d’expliquer sa démarche, a inventé un style musical et scénique où le corps tient l’un des rôles principaux.  » On a utilisé le communisme, on a utilisé les mouvements politiques, on a utilisé Greenpeace, on en a usé beaucoup, relève l’Iguane. C’est un peu comme Pac Man, ça bouffe tout, on a bouffé de tout. Alors le truc le plus choquant à faire aujourd’hui serait de la boucler et de dire calmement un truc intelligent. Ça, ce serait choquant.  »

Dans Psychotic Reactionset autres carburateurs flingués, Lester Bangs apportait une vision à la fois personnelle et intéressante d’Iggy et de sa pertinence.  » Ce dont nous avons besoin, c’est de rock stars prêtes à passer pour des imbéciles, à faire le grand plongeon et si nécessaire à se comporter de telle sorte que le public ait honte pour elles, aussi longtemps qu’il leur reste le moindre lambeau de dignité ou d’auréole mythique. Parce qu’alors tout le foutu édifice prétentieux de l’industrie du rock, si suprêmement ridicule, lancé pour piquer du pognon en arnaquant les kids et encourageant des fantasmes de puissante culture jeune, s’effondrerait (…) Il faut du courage pour se couvrir de ridicule, dire: Voyez, tout ça est une arnaque, tout le fichu spectacle, tous ces machins inondés de lumière défoncés plus grands que nature, et que vous soyez en bas et moi en haut n’a pas la moindre signification. »

Depuis la nuit des temps, la nudité est liée au spectacle. Que ce soit avec le sport, célébrant la beauté du corps, chez les Grecs durant l’Antiquité, ou plus tard chez nous à travers les exécutions capitales, de grandes fêtes populaires, où elle devenait procédure d’humiliation et signe de dégradation sociale.

Frime ou don de soi? Obscénité ou beauté? Art ou vulgarité? Il existe sans doute dans la musique autant de nudités qu’on compte de « nudistes ». Le corps a ses raisons que la raison ne connaît pas…

Texte Julien Broquet

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