LES INSPIRATIONS LENNON OU BOWIE SONT EMMENÉES DANS UNE FRANCE QUI AIME AUSSI LA VARIÉTÉ: ROVER LE RETOUR, CUIR ET SATIN TOUJOURS.

Il a garé son gros cube devant les nouveaux locaux de chez Pias, les anciens bureaux et imprimerie de feu Le Peuple,au centre de Bruxelles. L’espace qui accueille l’interview sert aussi de salle de concert: on y a déposé un vaste sofa de cuir, parfaitement raccord avec le blouson porté par Timothée Régnier, 36 ans, Rover à la scène. Les Ray-Ban complètent la tenue qui a perdu quelques tailles depuis la dernière fois: « Retour aux légumes »,sourit-il, histoire de préciser un agenda qui, dans la foulée d’un album à succès paru début 2012 -plus de 50 000 copies vendues-, comptabilise pas loin de 300 dates. « Une tournée c’est comme un voyage, on se réveille trois ans après et on revoit les copains, les trentenaires de ma génération, qui ont peur de demain, d’investir dans l’avenir ou les relations amoureuses. Je comprends: on a de toutes petites épaules pour encaisser l’actualité mondiale. » Ce Français ayant grandi au gré des migrations, de New York à Beyrouth, a sans doute les épaules plus larges que la moyenne puisque de la frilosité générationnelle, il a fait un (deuxième) album. « Let It Glow parce qu’il faut laisser la musique venir, ne pas être en conflit avec elle, souffler sur les braises. J’ai fait le deuil du premier disque en ne le mettant pas en compétition avec le second. Ne vouloir séduire personne d’autre que soi-même et laisser le corps s’habituer à ne plus jouer tous les soirs. Oublier qu’on a parlé de soi pendant des mois, dans un monde qui n’est pas réel, à la fois grisant et angoissant: si j’avais eu 20 ans, j’aurais explosé en plein vol… C’est un peu ce que je chante dans Trugar, un mot breton qui veut dire amusement. »

Rover va décrasser tout cela en Bretagne. Cette fois-ci, pas dans la maison familiale des Côtes-d’Armor, mais pas très loin de là, en bordure du Finistère, au studio Kerwax. Une ancienne et vaste école, qui n’a rien des studios lyophilisés dans le confort. Rustique. « Il n’y avait qu’un café dans les environs, on y débarquait en chapkas tellement il faisait froid. La Bretagne est un autre espace-temps. En studio, la fumée sortait de ma bouche quand je chantais (sourire), mais on bouffait bien: huîtres, crêpes, whisky… » Il y a surtout le toutim analogique et la console qui a réalisé le Melody Nelson de Gainsbourg et d’autres titres-clés de la chanson française, comme ceux de Barbara. « Christophe, Polnareff, c’est peut-être là que se niche la part européenne du disque, qui te rappelle la noblesse de la variété française ou européenne. L’Aigle noir de Barbara, Mon frère de Le Forestier et puis même Joe Dassin. L’essentiel, c’est de choper la mélodie. »

Let It Glow y réussitet, sans être véritablement l’ovni que Rover évoque, l’album est aux carrefours de plusieurs genres a priori peu perméables. Rock, indé, musiques popus, avec une grâce commerciale qui fait parfois remonter des vapeurs de canzone italiana et de bals d’été provincial. Une des causes de cette sensation mélancolique est l’utilisation du CP70, piano électrique construit par Yamaha, extrêmement populaire dans les années 70-80. Bien avant que Rover ou Sébastien Tellier le hipsterisent à nouveau, ce clavier a pondu des tubes pour Peter Gabriel, Hall & Oates, Roxy Music ou… Toto. Hors-stock depuis trois décennies, Rover en trouve un exemplaire en Allemagne et l’installe à Uccle, où il vit avec sa fiancée. « Il vibre beaucoup comme certaines vieilles guitares et même s’il a des cordes, il ne sonne pas trop fort: on peut donc le brancher sur un ampli pour en jouer toute la nuit. Le son est ingrat parce que très connoté années 80 mais c’est un piano qui a du rebondi. Je l’aime aussi beaucoup comme objet, avec ses quatre pieds en acier, on dirait une table design. Je ne suis pas pianiste mais j’aime ma maladresse sur le disque, cette naïveté, cette pureté… »

Lennonesque

Le dandysme de Rover se repère à sa bagnole -une Jaguar- et, tout autant, à la confiance qu’il porte à son travail. « Le dandysme peut exister sans artifice »,pose-t-il, même s’il tient à contrôler son image (lire aussi page 10), ses disques évoquant l’un des maîtres en la matière, Bowie. Pour le délié crooner de la voix et la capacité à positionner les chansons dans une forme d’élégance peu temporelle. Mais Rover exprime aussi son admiration pour Elvis et Lennon: avec eux, il partage un amour inconsidéré pour ce que l’on pensait être une reverb. « Non, sur ce disque, j’utilise un slapback, un écho, qui est le même que celui que Presley utilisait. C’est une machine à bandes: on passe le signal dans la première qui est immédiatement relu par la seconde. Cela crée un écho et c’est comme si on chantait à deux voix: on a l’impression de se voir chanter. Je suis fou de cet effet, j’en mettrais partout si je pouvais: il m’a permis de mettre moins de reverb justement, ce qui donnait ce truc un peu cathédralien, christique, au premier album. Je n’ai pas la prétention de révolutionner la musique, mais je pense qu’il y a toujours la fameuse madeleine: je veux proposer ce que je suis au travers de ces influences et de ce filtre émotionnel. Pas un pastiche, même si Trugar ressemble à une production lennonesque. »

RENCONTRE Philippe Cornet

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