AVEC TREME, LE CRÉATEUR DE THE WIRE DAVID SIMON DÉPLOIE SON ART MAJEUR DU RÉCIT CHORAL DANS LA NOUVELLE-ORLÉANS SINISTRÉE DE L’APRÈS-KATRINA. BILAN PROVISOIRE À L’HEURE OÙ LA DEUXIÈME SAISON DE LA SÉRIE VOIT LE JOUR EN DVD.

Le tour de force de la première saison tenait dans une vaste galerie de personnages absolument formidables -Antoine Batiste et ses démêlés sans fin avec les taximen des quatre coins de la ville, Cray et ses longues diatribes monologuées postées sur YouTube, DJ Davis et sa passion inconsidérée pour le bounce…- évoluant dans une Nouvelle-Orléans tristement dévastée où la ville comme les hommes entamaient un difficile travail de reconstruction. Débutant quatorze mois après le passage de Katrina, cette deuxième salve d’épisodes -la troisième est actuellement en cours de diffusion et la série se clôturera l’an prochain sur les petits écrans américains avec une quatrième saison qui ne totalisera sans doute pas plus de cinq épisodes- se devait donc de relever un défi pas loin de tenir de l’impossible gageure: prolonger l’histoire d’amour au-delà du coup de foudre originel. Pari tenu pour David Simon et sa team de scénaristes-réalisateurs (parmi lesquels on retrouve notamment un certain Tim Robbins).

Inscrivant son propos, et ses protagonistes, dans une tension permanente entre tradition et modernité, Simon déplace les enjeux de son storytelling des rues de Baltimore à celles de NOLA -le Treme en constituant l’un des plus vieux quartiers, particulièrement symbolique de la culture créole, et afro-américaine au sens large. Et propose, à l’instar de The Wire, bien plus qu’un simple chassé-croisé d’errances multiples -celles d’une avocate brisée, d’un chef indien qui en impose, d’une violoniste fragile, d’une cuistot surdouée…-, le portrait d’une cité. Ne cherchez pas plus loin le personnage central, tout est dans le titre: c’est du Treme et, partant, de La Nouvelle-Orléans qu’il s’agit ici, vaisseau fantôme charriant d’emblée un ton, une atmosphère. Un truc dense, juste et vrai qui sent la vie. Et si Treme n’en a pas moins les allures d’une ode à NOLA, c’est bien dans toute sa complexité, ses paradoxes, ses stéréotypes aussi, qu’elle se voit célébrée. La série ne manquant jamais une occasion pour décocher quelque vérité bien sentie sur la ville, la catastrophe, la responsabilité fédérale, l’abandon éhonté des instances du pouvoir…

Comme un ouragan

Porteuse d’espoirs, cette deuxième saison enregistre le retour de nombreux habitants exilés suite au passage de l’ouragan, mais aussi celui de la délinquance et de la criminalité au quotidien. La confusion règne en effet tandis que quelques entrepreneurs charognards cherchent à tirer profit du désastre. Un constat amer, pourtant toujours doublé d’un hommage vibrant, quasi viscéral, au c£ur battant de La Nouvelle-Orléans: sa tradition musicale, marmite cuivrée où bouillonne un formidable jambalaya de désirs épicés. Immémorial baromètre des humeurs des hommes.

Bâti autour de ce double axe de mort et de vie, le show marche de plus en plus explicitement sur les traces de son illustre prédécesseur, The Wire, dont il prolonge l’éclatement formel façon roman russe tandis qu’il en recycle un contingent toujours plus important d’acteurs. Alors que la figure, récurrente chez Simon, du réseau se détache de plus en plus distinctement de son récit choral, corruption politique, dérives policières et autres problèmes éducationnels y sont ainsi patiemment épinglés au gré de micro-intrigues plus édifiantes les unes que les autres.

Mais si le motif du puzzle dominait dans The Wire, chaque saison explorant une facette différente de la cité de Baltimore, ici c’est la ville et ses habitants eux-mêmes qui sont en morceaux. Et la série d’essayer d’en recoller les pièces au gré d’une fiction plurielle, aux ramifications potentiellement infinies, et dont les racines plongent profond dans le terreau sinistré du réel -et l’on ne parle même pas ici des échos suscités par le récent et forcément douloureux passage de Sandy. La question de la reconstruction se doublant elle-même en chemin d’une interrogation sur la gentrification croissante de certains quartiers.

Autant d’enjeux majeurs pour un portrait complexe, dense, enthousiasmant, de cette Big Easy, comme on la surnomme paradoxalement, qui, même meurtrie dans sa chair, s’impose encore et toujours comme le carrefour supra métissé de tous les possibles. A suivre…

TREME – SAISON 2. UNE SÉRIE HBO CRÉÉE PAR DAVID SIMON ET ERIC OVERMYER. AVEC WENDELL PIERCE, MELISSA LEO, STEVE ZAHN. UN COFFRET 4 DVD. DIST: WARNER. ****

TEXTE NICOLAS CLÉMENT

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