Rencontre avec Thomas Kruithof qui signe Les Promesses, un film tout en nuances de gris

Isabelle Huppert et Reda Kateb: les promesses à l'épreuve du réel.

Avec Les Promesses, Thomas Kruithof investit la politique au niveau local, signant un film tout en nuances de gris sur les pas d’Isabelle Huppert et Reda Kateb.

De L’Exercice de l’Étatà Quai d’Orsay, en passant par La Conquête et autre Présidents, le cinéma français investit à l’occasion le champ politique. Si la conduite des affaires de l’État fascine, rares, par contre, sont les films à envisager l’exercice du pouvoir au niveau local, au coeur des Promesses, le deuxième long métrage de Thomas Kruithof quatre ans après La Mécanique de l’ombre. Isabelle Huppert y campe la maire d’une ville de Seine-Saint-Denis qui entend se retirer sur un ultime coup d’éclat: obtenir, avec l’aide de son chef de cabinet (l’impeccable Reda Kateb), le financement public d’un ambitieux projet de rénovation d’une cité guettée par l’insalubrité. Un engagement bientôt mis à l’épreuve d’une réalité complexe. « J’ai toujours beaucoup aimé les films politiques, commente Thomas Kruithof, que l’on rencontre en compagnie de Reda Kateb à la faveur de la sélection du film à la Mostra de Venise. Après l’élection présidentielle de 2017 qui avait été houleuse, j’ai eu envie d’investir le terrain de la politique locale: je trouvais qu’il y avait un espace auquel le cinéma et les séries s’attachaient peu, qui est cette place de lien entre la population et l’État central qu’occupe le maire. Avec aussi cette fatigue, ce sentiment d’impuissance que l’on sent quand on sait que plus de 50% des maires ne se sont pas représentés l’an dernier aux élections municipales françaises. Cette position-là m’intéressait, ainsi que le fait de travailler la notion d’engagement, de courage politique, et de foi; travailler la réalité et la vivacité de l’action politique au quotidien en rapport avec un problème concret. »

Le goût des autres

Un projet urbanistique en l’occurrence, attendant d’être validé au plus haut niveau, perspective se heurtant toutefois à des intérêts antagonistes, sans même parler d’ambitions plus ou moins avouées. De cet écheveau, le film réussit à rendre lisible la complexité. Le fruit de patientes recherches menées par le réalisateur en compagnie de Jean-Baptiste Delafon, auteur et créateur de la série Baron noir et coscénariste des Promesses. « Quand nous nous sommes rencontrés, Jean-Baptiste travaillait déjà sur une histoire de copropriétés, d’insalubrité et de marchands de sommeil. Je trouvais que si on voulait parler de politique locale, de terrain, le logement était le sujet le plus viscéral. On a essayé de montrer que c’était un métier technique et qu’il est compliqué de faire des choses, mais qu’en même temps, derrière, il y a des gens qui défendent leurs économies, leur lieu de vie. C’est un endroit essentiel de la politique locale. Nous avons rencontré des maires qu’on a suivis, assistant à des réunions publiques. On s’est baladés dans beaucoup de villes, et je me suis notamment beaucoup intéressé aux problématiques des marchands de sommeil et aux questions juridiques. Après, on tapisse, et on essaie d’en faire ressortir quelque chose qui tend un peu vers le romanesque à mesure que le film avance, mais qui part du réel. On tente de montrer que ça a du sens, et que chaque moment de la vie politique est une rencontre et un combat, une négociation qui, souvent, n’aboutit pas. Finalement, il y a beaucoup de promesses qui sont faites, qui sont des transactions que l’on essaie de faire pour se mettre d’accord… »

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Et de plonger au coeur des rouages de la politique locale, pour en proposer une vision refusant le manichéisme et se défiant aussi bien du « tous pourris » que de l’angélisme. À quoi Thomas Kruithof préfère, entre arbitrages et compromis, les dégradés de gris. La mécanique de l’ombre, en somme:  » On a essayé de faire un portrait juste. Et on raconte la complexité d’un système politique. Tout n’est pas net, tout n’est pas que d’une couleur, les choses sont parfois compliquées, mais il y a une énergie qui peut nous emmener ailleurs. J’ai une certaine admiration pour le travail des élus locaux dans des villes difficiles: c’est un sacerdoce, il faut avoir le goût des autres. Évidemment, il faut aussi une ambition, aimer le pouvoir et probablement avoir un grand ego, mais il y a quelque chose d’admirable dans ce qu’on déploie et que l’on donne. Il y a toujours plusieurs faces à une pièce. »

Cette réalité mouvante, Isabelle Huppert et Reda Kateb s’y engouffrent avec l’aplomb, mais aussi les nuances requises pour conférer à leurs personnages une véritable épaisseur. Humains, jusque dans leurs contradictions exacerbées à l’épreuve du pouvoir. Et le comédien d’observer: « Ce film propose un autre mouvement des lignes que celui, bipolaire, voulant que la fin justifie les moyens ou, alors, que l’on doive être immaculé du début à la fin. Les deux personnages ne sont ni des héros, ni des antihéros, même s’ils peuvent paraître héroïques à certains moments, médiocres à d’autres. Ils portent leur noblesse et leur pathétique, donc l’humain, ce que nous acteurs devons prendre en charge, est riche. En même temps, le film s’appelle Les Promesses , et l’éternel jeu du politique est quand même celui des promesses non tenues. Personne ne sera élu en proclamant « je ne changerai pas votre vie, mais bon, je vais essayer de mettre la gratuité des transports ». Il y a un jeu de dupes permanent dont on a l’impression qu’il existe depuis les débuts de la démocratie, dans la Grèce antique. La différence chez ces personnages-là, c’est que dans la politique locale, ils sont au contact permanent des gens, et ça change tout. J’ai une certaine admiration pour les gens qui, au sein des municipalités, travaillent bien, parce qu’il y a un côté tellement dévoué et, au final, assez ingrat. »

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