Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

TRIPLE ALBUM PROPOSANT PRÈS DE TROIS HEURES DE MUSIQUE, THE EPIC RALLUME LE FEU SACRÉ D’UN JAZZ EUPHORIQUE, CÉLÉBRANT LE JEU COLLECTIF. SOUFFLANT.

Kamasi Washington

« The Epic »

DISTRIBUÉ PAR BRAINFEEDER/PIAS.

8

Bonne nouvelle: le jazz est mort, il peut à nouveau revivre! Combien de fois n’a-t-on pas publié son avis de décès? A chaque fois pourtant, le jazz renaît. Parfois par la bande, comme quand il est accaparé par le rap. Cela fait un moment que le hip hop a mis la main dessus: de Gangstarr à Tyler The Creator, de Madlib à A Tribe Called Quest, etc. Un échange de bons procédés: les rappeurs se servent dans le répertoire, et en retour, ils amènent un nouveau public à une musique qui a de plus en plus de mal à intéresser les médias.

C’est probablement aussi par ce biais que beaucoup arriveront à The Epic, triple album monumental du saxophoniste Kamasi Washington. Relativement inconnu jusqu’ici, son nom a en effet été repéré au générique du récent To Pimp a Butterfly, signé Kendrick Lamar. L’aura d’un album se juge aussi par les connexions qu’il réussit à créer et par les disques qu’il côtoie. To Pimp a Butterfly aura ainsi été précédé quelques mois plus tôt par l’excellent You’re Dead! du producteur Flying Lotus. Il est aujourd’hui suivi de The Epic, oeuvre bien nommée, aussi extravagante que passionnante.

Kamasi Washington est né en 1981, à Inglewood. Un coin plutôt chaud de Los Angeles, jouxtant South Central, pourri par la guerre des gangs -Washington raconte avoir un jour découvert le corps d’une prostituée morte dans son jardin. Avec deux parents profs, le gamin est néanmoins cadré et envoyé dans les bonnes écoles. Vers quatorze ans, son cousin lui file un disque de Lee Morgan, le trompettiste hard bop. Kamasi Washington y trouve la même urgence que dans ses disques de NWA, les rappeurs gangsta de Compton. Il a trouvé sa voie (et bientôt son instrument, le saxophone).

Il n’est pas le seul dans ce cas, et se rend bientôt compte qu’une nouvelle génération de musiciens jazz est en train d’émerger, à Los Angeles. C’est d’ailleurs bien ce souffle collectif qui domine sur The Epic. Tout au long des quasi trois heures de musique proposées (172 minutes), Kamasi Washington est ainsi accompagné d’un band pléthorique. Il fait aussi régulièrement appel à un ensemble de cordes et choeur d’une vingtaine de personnes, dirigés par Miguel Atwood-Ferguson, qui renforcent encore un peu plus la dimension héroïque d’un jazz euphorisant.

Treize des 17 morceaux sont des compositions originales (à côté par exemple du standard Cherokee ou du Clair de lune, de Debussy). Ils ramènent régulièrement vers le pilier John Coltrane (Miss Understanding, Change The Guard…), mais pas seulement: Washington évoque avec la même justesse des incontournables comme Donald Byrd, Pharoah Sanders ou Eddie Gale.

Disque boulimique, mais jamais indigeste, The Epic déborde aussi volontiers vers la soul, le funk, le r’n’b… -comme sur The Rhythm Changes, exercice smooth à la Stevie Wonder, sur lequel intervient la chanteuse Patrice Quinn. Jamais pourtant il ne sonne autrement que comme un album de jazz. C’est son souffle, son énergie intime et vitale. Et l’intention n’est jamais de les diluer. Au contraire, Washington entend redonner au genre une force et une pertinence par rapport à l’époque. A cet égard, la mission est en tous points réussie.

LAURENT HOEBRECHTS

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