LONGTEMPS BOUDÉE EN FRANCE, L’ÉLECTRO-POP ÜBER-CATCHY ET FAUSSEMENT NAÏVE DE YELLE A FINI PAR TROUVER SON BONHEUR AUX ETATS-UNIS. AVANT D’ENFIN ÊTRE RECONNUE SUR SES TERRES?

Fin décembre, le site Charts in France a fait ses comptes pour l’année écoulée. Parmi ses flops de 2014, il pointait notamment le troisième album de Yelle. Intitulé Complètement fou, il ne se serait écoulé jusqu’ici qu’à près de 3000 exemplaires en France. Un bide? A voir. Sorti à l’automne, le disque n’est en effet qu’au début de son exploitation. « Si la rencontre avec le public doit se faire six mois après la sortie, cela ne me dérange pas, glisse le plus sincèrement du monde Julie Budet, visage et voix du duo. Moi-même, je ne saute pas sur les disques dès qu’ils paraissent. C’est bien aussi de laisser le temps aux gens de s’approprier les choses. »

De toute façon, l’enjeu pour un projet aussi outrageusement pop que Yelle ne se joue peut-être plus tellement au pays. Trop d’incompréhensions (la blague Fatal Bazooka), de préjugés (remember la tektonik, danse de la « génération fluo » pendant trois semaines?), de quiproquos foireux… Depuis un moment maintenant, c’est en Amérique que cela se passe, où Yelle n’arrête décidément plus de tourner. Le duo formé il y a dix ans y a même conçu en partie le nouvel album, Complètement fou ayant bénéficié notamment de l’expertise du « hitmaker » Dr Luke. Pourquoi et comment un groupe français chantant en français a-t-il trouvé le chemin des States, tout en restant snobé dans son propre pays? Tentative de réponses avec Julie Budet.

« Je suis arrivée au sommet/Tu n’as rien vu pendant ton sommeil« , dans Complètement fou. C’est une manière de titiller le public français qui a toujours un peu traîné les pieds?

Disons que l’on n’a pas toujours eu l’impression d’être bien compris. Après la sortie de Safari Disco Club (le 2e album sorti en 2011, ndlr), en particulier, ce sentiment était exacerbé chez moi. Après, ce sont davantage les médias qui ne savaient pas toujours où nous placer, et les radios qui ne se mouillaient pas trop. Mais je peux comprendre: on est un groupe un peu bizarre, coincé entre plusieurs trucs, pas facile à caser. Aujourd’hui, j’ai quand même l’impression que cela change, que les mentalités évoluent.

Grâce au succès aux Etats-Unis?

Peut-être qu’il y a de ça, oui. C’est comme un tampon qui valide. On se dit que ça doit être cool si ça marche ailleurs.

Comment vous expliquez que le courant passe si bien de l’autre côté de l’Atlantique?

Je pense que notre amour de la mélodie y est pour beaucoup. Toute la pop mainstream américaine est basée là-dessus: la ligne catchy qui va accrocher l’oreille et rester en tête. On s’amuse beaucoup à jouer avec ça, à bosser sur nos mélodies, voir ce qu’elles provoquent chez nous et pourraient éventuellement déclencher chez l’auditeur. J’ai l’impression que le côté visuel joue également un grand rôle: les clips, l’imagerie un peu décalée, fantaisiste…

Puis, il faut dire aussi qu’on tourne là-bas depuis un moment maintenant. En 2006, un tourneur américain était venu nous voir au festival Pop Montreal. Après le concert, il nous a proposé d’essayer une date à New York, puis rapidement dix autres, toutes complètes. Finalement il a réussi à nous « booker » au festival Coachella qui a définitivement fait tout basculer. MTV nous a aussi pris comme « Artiste de la semaine ». Tout à coup, on nous reconnaissait partout! On tournait en camping-car à l’époque. Je nous vois encore nous arrêter dans un camping au fin fond de la Californie, et la dame de l’accueil de nous tomber dessus: « C’est pas vous la chanteuse française qui passe à la télévision? » C’était dingo! Par la suite, on a encore reçu le soutien de personnalités comme Katy Perry ou Jessica Alba. Cela a fait effet boule de neige.

Si les thèmes évoluent un peu d’albums en albums, les textes sont toujours aussi directs et (faussement) naïfs. Quitte, comme Coca sans bulles, à y planquer des sentiments plus ambigus…

Mais nous, on aime ça! Si je suis une grande fan de la pop des années 80 (Daho, Elli & Jacno…), c’est aussi pour ça. On y retrouvait ce truc très naïf, « tout va bien, tout est beau, tout est joli », alors que les gens racontaient des choses vraiment horribles dans leurs morceaux. J’aime ces contrastes, le fait que les choses ne soient pas lisses, ni évidentes au premier abord. Du coup, on va peut-être aussi jeter ces morceaux moins vite.

Comparé au succès aux USA, n’y a-t-il pas paradoxalement pour Yelle, en France, une barrière de… la langue?

Peut-être bien, oui. En France, faire de la pop -de la manière dont nous l’imaginons en tout cas- reste un peu bizarre. J’ai longtemps entendu des gens me dire: « Ce que tu racontes dans tes morceaux, je n’ai pas envie de l’entendre, pas de manière aussi frontale, c’est presque un peu trop cru. » Mais on n’a jamais eu d’autres options! Même si je peux tenir une conversation en anglais, je ne me vois pas écrire tout un album dans une autre langue que le français. De toute façon, cela a toujours été une évidence entre nous. On aime trop jouer avec les mots et les doubles sens pour s’en passer. Je viens également d’une famille avec un père musicien, qui a fait toute sa carrière en chantant du folk en français… Après, c’est aussi une question de moment. Quand on a commencé, en 2005, tout le monde nous regardait de travers. Aujourd’hui en 2014, chanter en français sur de la pop n’est plus du tout exceptionnel. Tout le monde le fait, de Stromae à Christine & the Queens.

YELLE, COMPLÈTEMENT FOU, DISTRIBUÉ PAR SONY.

RENCONTRE Laurent Hoebrechts

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