Louis Danvers
Louis Danvers Journaliste cinéma

LAURENT CANTET ADAPTE LE ROMAN FÉMINISTE DE JOYCE CAROL OATES AVEC DES INTERPRÈTES NÉOPHYTES. UN FILM SUR LES FIFTIES AMÉRICAINES À LA FOIS UNIVERSEL ET ACTUEL.

FOXFIRE, CONFESSIONS D’UN GANG DE FILLES

DE LAURENT CANTET. AVEC KATIE CORSINI, RAVEN ADAMSON, CLAIRE MAZEROLLE. 2 H 07. DIST: TWIN PICS.

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Réunir des jeunes interprètes n’ayant jamais tourné un film, répéter avec eux longuement pour en faire les acteurs d’une histoire de groupe aux dimensions éminemment générationnelles, inspirée par un livre. Les points communs liant Entre les murs et Foxfire,les deux derniers longs métrages en date de Laurent Cantet, sont importants. Mais les différences le sont aussi. Le bouquin de François Bégaudeau relatait l’expérience personnelle d’un prof de lycée de la banlieue parisienne, à l’époque contemporaine. Le roman de Joyce Carol Oates, paru en 1995, est une fiction dont l’action se situe au milieu des années 50. Sa tentation d’Amérique, alimentée par son admiration pour le sens narratif intense de la littérature et du cinéma made in USA, a pris pour Cantet la forme d’une adaptation à la fois fidèle (dans le récit) et libre (dans la forme). Ce texte au féminisme affirmé et à l’esprit rebelle ne pouvait que plaire à un cinéaste travaillant depuis ses fulgurants débuts des sujets à dimensions sociales (Ressources humaines, L’Emploi du temps).

Les fifties, ce sont les années du rock’n’roll et des premiers ados révoltés en rupture de modèle américain traditionnel. Une époque que le cinéma a relayée, avec notamment des films chocs comme The Blackboard Jungle et Rebel Without A Cause. Mais les filles de Foxfire sont loin d’Hollywood et des garçons en blouson de cuir noir: Legs et ses copines de lycée font peu à peu bande à part, désertent les rôles traditionnels réservés (et souvent imposés) aux jeunes filles. Elles font les 400 coups, piègent et volent les pervers du coin, amateurs de chair mineure. Et elles deviennent un gang, se cherchent aussi un endroit où vivre ensemble. Ce sera une maison dans les bois, lieu d’une utopie aussi belle que fragile… Remarquablement joué par de jeunes interprètes pleines de présence et totalement crédibles, filmé en vidéo haute définition offrant au réalisateur le luxe de longs plans séquences et de reprises de plan dans le flux, sans coupure, Foxfire, confessions d’un gang de filles acquiert très vite une portée dépassant largement le contexte (bien recréé, par ailleurs) de l’époque concernée. On observe Legs (épatante Raven Adamson), Maddy et leurs complices, et on pense aux Pussy Riots et autres Femen qui ont relevé aujourd’hui le flambeau d’une liberté féminine encore inexistante dans bien des pays et remise en cause chez nous sous l’effet d’une régression des valeurs à laquelle le religieux et ses dérives prosélytes ne sont assurément pas étrangers. Un film actuel, donc, aussi par la modernité de sa mise en forme. Le DVD s’enrichit d’une « master class » d’une vingtaine de minutes, révélant certains éléments clés de la « méthode Cantet ».

LOUIS DANVERS

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