Rat de laboratoire

À la fois trendsetter et électron libre de la scène rap, A$AP Rocky continue de cultiver le flou artistique sur un troisième album audacieux, mais inégal.

Quand il a déboulé, il y a dizaine d’années d’ici, A$AP Rocky avait tout pour lui. Y compris la fameuse street credibility, obtenue notamment grâce à son passé de dealer (à quinze ans, il vendait du crack dans les rues du Bronx) et son passage par la case prison. À cet égard, il aurait pu se contenter d’intégrer le rap game, en en assumant tous les codes. Incarnation très « fashion » de ce qu’on a appelé un moment le « swag », Rakim Mayers, de son vrai nom, a toutefois pris l’habitude de viser plus large. Proche du styliste belge Raf Simons, il a accompagné notamment Lana Del Rey ou effectué ses premiers pas au cinéma ( Dope).

Il y a quelques jours, il se retrouvait encore au centre d’un happening artistique, organisé chez Sotheby’s, à New York. À la manière de Jay-Z reprenant l’un des dispositifs de (et avec) Marina Abramovic (la vidéo de Picasso Baby), A$AP Rocky confrontait à son tour des univers qui habituellement ne se côtoient guère. Enfermé dans un cube de verre, le rappeur était le sujet d’une expérience intitulée Rat lab (« rat de laboratoire »), diffusée en streaming. Au programme: questions personnelles et défis physiques (apnée dans une eau glacée, dégustation de piments, ce genre de choses). Pour la beauté de l’art (…), et le reste: à la fin de l’expérience-performance, il annonçait la sortie quelques jours plus tard d’un nouvel album. Son titre: Testing...

Rat de laboratoire

Brumes psychédéliques

On peut trouver la manoeuvre arty grotesque. Au moins la performance a-t-elle eu le mérite de rappeler que le rappeur est bien décidé à tracer sa propre voie, quitte à parfois vaciller entre le flamboyant et le ridicule. Son effort précédent At. Long. Last. ASAP, sorti en 2015, s’inspirait notamment d’un certain rock indé (certes, dans l’idée plus que dans le son). À en croire l’intéressé, ce troisième album dévoilerait cette fois sa vision du trip-hop. De fait, un morceau comme Changes peut s’envisager comme du Tricky apaisé…

Mais ce qui marque surtout l’oreille, c’est ce grain psychédélique, qu’A$AP Rocky n’a jamais vraiment cessé de cultiver. Drogué, Testing avance souvent au ralenti, tâtonnant dans les fumées psychotropes -à l’image de Hun43rd, l’un de ses meilleurs titres, produit par Devonté Hynes (Blood Orange), ou de CALLDROPS, morceau qui se passe de tout beat. Sur l’inquiétant Fukk Sleep, la voix de FKA Twigs contribue encore à l’hallucination, tandis que Praise the Lord, produit par l’Anglais Skepta, s’appuie sur un gimmick de flûte. De son côté, le single A$AP Forever sample (un peu trop) le Porcelain de Moby pour vraiment fonctionner. Par contre, en toute fin de disque, Purity fait mouche, invitant Frank Ocean, et citant Lauryn Hill ( I Gotta Find Peace of Mind). Plus lumineux et introspectif, il dissipe un peu les brumes dans lesquelles a baigné la majorité de l’album.

En cultivant le flou artistique, Testing se place souvent à mille lieues de la production rap actuelle. En avance sur son époque -comme A$AP Rocky a souvent su l’être-, ou en complet décalage, ça, par contre, c’est une autre question…

A$AP Rocky

« Testing »

Distribué par Sony.

7

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