Qu’est-ce qu’une vie bonne?

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En 2012, la théoricienne américaine Judith Butler se voyait attribuer le très prestigieux prix Adorno, décerné chaque année depuis 1977 à un ou une intellectuel(le) en hommage à la figure de proue de l’École de la théorie critique de Francfort. Ce descriptif n’est cependant pas tout à fait exact, puisqu’au moment où elle bénéficia de cet honneur, Butler fut en réalité la première femme à rentrer dans un club de vieux mâles, comptant parmi ses membres Norbert Elias aussi bien que Jean-Luc Godard, György Ligeti que Jacques Derrida. Pour l’occasion, elle prononça un discours aussi élégant que vigoureux, qui faisait le point sur le tournant éthique que ses recherches étaient en train d’adopter. Un tournant qui, soulignait-elle, ne visait pas à installer une distance par rapport à la politique, à laquelle elle avait consacré tant d’efforts. La militante queer, fondatrice à son corps défendant de ce qu’on appelle paresseusement la « théorie du genre », souhaitait plutôt, en posant le choix de l’éthique, appréhender toutes les conditions entourant les vies humaines dans la société contemporaine, et non plus seulement celles de la police ou de la violence. Son concept central, celui de « précarité », lui servait de boussole: parler de précarité, pour Butler, c’est parler de la manière dont une vie qui ne peut prétendre s’assurer contre le danger que font peser sur elles les conditions extérieures se voit soustraire à la possibilité d’une réponse à la question « Qu’est-ce qu’une vie bonne? ». À l’heure où une bonne moitié de la planète est en train de sortir d’un épisode de confinement qui a révélé plus que jamais à quel point les vies des uns et des autres sont des vies sous condition, il n’y a rien de plus urgent que méditer la situation de « précarité » de toutes. Car tel était bien l’enjeu, pour Butler: en posant la question éthique de savoir ce qu’est une vie bonne, il s’agissait de montrer que la réponse, une fois de plus, nous reconduit à la politique qu’on avait fait semblant d’oublier.

Qu'est-ce qu'une vie bonne?

De Judith Butler, éditions Rivages, traduit de l’anglais (États-Unis) par Martin Rueff, 96 pages.

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