Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

AVEC CLIPSE, IL AVAIT MARQUÉ LE HIP HOP DES ANNÉES 2000. POUR SON PREMIER ALBUM SOLO, PUSHA T PARVIENT SANS TROP DE DIFFICULTÉS À ATTEINDRE LES MÊMES HAUTEURS.

Pusha T

« My Name Is My Name »

DISTRIBUÉ PAR UNIVERSAL.

8

Le rap a toujours cultivé une certaine schizophrénie. Entre authenticité et fantaisie, street credibility et paillettes du star system, le jeu s’apparente souvent à un véritable exercice d’équilibriste. Longtemps, par exemple, Terrence Thornton, alias Pusha T, a dealé de la coke. A 36 ans, le rappeur a beau avoir fermé son petit commerce, c’est toujours ce qui occupe la plupart de ses textes. Sur Hold On, il explique ainsi avoir vendu plus de poudre que de disques, piquant dans la foulée les autres rappeurs qui se montent du col, tout en ayant les mains propres (« You niggas sold records, never sold dope/So I ain’t hearing none of that street shit,’cause in my mind you motherfuckers sold soap »). La scène est cocasse: sur le même morceau, apparaît Rick Ross, gros bras du hip hop qui derrière ses airs de racaille cache un passé de… gardien de prison. Vu comme ça, My Name Is My Name, premier album solo de Pusha T, ressemble volontiers à un dîner de cons: les invités ont beau se presser, le rappeur reste toujours le seul maître à bord, maîtrisant le menu et le plan de table…

S’il y a du monde qui se bouscule au portillon, c’est que l’on attendait le disque depuis un moment. En effet, Pusha T est loin d’être un inconnu. Avec son frangin, connu sous le pseudo de (No) Malice, ils ont monté Clipse, dont l’album HellHath No Fury (2006) reste l’une des pièces essentielles du rap des années 2000. Aujourd’hui, (No) Malice s’est converti au christianisme et veut laisser les vieux démons derrière lui. « My better half chose the better path, applaud him« , rappe Pusha T, qui préfère, lui, toujours cultiver l’ivraie…

Avec des nuances. L’univers de Clipse était claustrophobe et rêche. En solo, Pusha T conserve son flow nasillard, à la fois tranquille et vicieux. Mais le rappeur ose l’ouverture. Il invite par exemple The-Dream qui croone sur 40 Acres, tandis que Kelly Rowland donne la coloration r’n’b de Let Me Love You. Etrangement, la formule fonctionne plutôt bien. Elle n’est cependant jamais aussi efficace que dans les moments où Pusha T la joue beats décharnés et groove alambiqué. Il faut par exemple entendre la production parano, aussi simple que déglinguée, d’un morceau comme Numbers On The Boards. Sur le magistral Nosetalgia, Kendrick Lamar est probablement le seul invité à donner valablement la réplique au maître de cérémonie.

En écoutant My Name Is My Name, on pense aussi parfois à une version moins abrasive du Yeezus de Kanye West. Ce n’est évidemment pas un hasard. Pusha T est signé sur le label de Mr West, dont l’ombre plane sur tout l’album. De la pochette (qui revendique le même minimalisme graphique et le même message que celle de Yeezus) aux samples utilisés (identiques sur King Push et New Slaves). Cela ne diminue en rien le mérite de Pusha T et la manière dont il a réussi son coup. En l’occurrence, un coup de maître.

LAURENT HOEBRECHTS

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