Rufus Wainwright revient dans un impérial album solo piano/voix. Avant sa prochaine présentation au Bozar, interview canapé avec le wonderkid croisant la mort de sa mère, le sexe, les drogues et l’ambition. La vie, quoi.

Quand Rufus Wainwright s’habille en Verdi pour la première de son opéra à Manchester à l’été 2009, ce n’est pas un hasard. Fils de 2 personnalités musicales autoritaires – l’Américain Loudon Wainwright et la Canadienne Kate McGarrigle (décédée en janvier 2010) -, il a longtemps considéré que sa vie n’était qu’un théâtre à ciel ouvert. Une représentation pour grands enfants cherchant un sens à la turbulence et aux excès. Depuis ses débuts discographiques en 1998, Wainwright junior n’a cessé de composer des chansons camp, mélodies précieuses semblant débarquer d’un autre siècle, peut-être le XIXe. Vision entretenue par diverses fréquentations des enfers artificiels dont Rufus -contrairement à 99 % des stars – parle au naturel. On le rencontre dans des studios londoniens alors qu’il répète une nouvelle fois son opéra Prima Donna pour une tournée anglaise doublée de concerts solos. Peau lisse, mine fraîche, blouson en cuir de bonne tenue, foulard d’un négligé à carreaux, yeux brillants, très gay, il partage sa prose alors que les arias de Prima Donna franchissent les murs.

Votre découverte de l’opéra a-t-elle été comparable à celle du sexe? Quelle était la plus importante des deux?

Le sexe ( rires appuyés), mais on peut avoir les deux, vous savez. La découverte de l’opéra m’a conduit au sexe. J’avais 13 ans ( en 1986, ndlr) et c’est l’été où j’ai découvert ma propre sexualité. J’habitais avec ma mère à Montréal et le sida était en pleine propagation, fauchant beaucoup de gens, une période très sombre. L’opéra m’a donné de l’espoir et emmené dans la découverte de ces émotions complexes et extrêmes que je vivais. Ce que ZZ Top ne faisait pas pour moi à l’époque ( rires gargantuesques).

Vous savez ce qu’est un ZZ en français? Une bite…

( rires) Voilà donc où l’opéra m’a emmené et depuis lors, j’y suis resté.

Vous parlez d’une conduite pour le moins débridée à la découverte de votre sexualité, d’un binge-outcoming si l’on peut dire. Pourquoi cet excès?

J’avais peut-être besoin d’une figure mâle à la maison, mon père ayant quitté ma mère quand j’avais 3 ans. Mon attitude était aussi une réponse à l’intense énergie femelle de ma mère! Si je regarde la dichotomie de mes 2 familles parentales, c’était comme le soleil et la lune. Français, irlandais et matriarcal du côté de ma mère qui jouait du folk alors que mon père était un pur produit américain, WASP, impérial, aimant le football.

Père et mère étaient-ils aussi en compétition musicale?

Absolument, ils n’ont cessé de se jouer des tours, quittant les concerts l’un de l’autre, écrivant des chansons piquantes à l’adresse de l’ex, et cette relation difficile a duré quasi toute leur vie. Tout en étant mutuellement influencé par le talent considérable de l’autre! Je me demande s’ils ont jamais été amoureux ou ont simplement aimé le talent de l’autre…

Comment vos parents ont-ils « réceptionné » la découverte de votre sexualité?

Tous les deux de façon atroce. Je le dis comme cela parce que c’est important de dire aux jeunes gays que l’attitude de départ ne se perpétuera pas forcément toujours. Mais ils ont fini par l’accepter. Ma mère qui est pourtant très libérale (au sens européen, progressiste), très éduquée, qui avait des amis gays, a eu du mal avec son fils. Elle a néanmoins fini par accepter mon boyfriend comme s’il était son propre enfant. Mon père était bizarre aussi, cela va bien aujourd’hui.

Comme on peut le voir dans le DVD de Prima Donna (1) , la relation avec votre mère semble particulièrement proche, intime.

J’ai vécu avec elle au Québec, de l’âge de 3 à 20 ans. En fait, ma mère et moi étions, de fait, mariés ( rires). Heureusement, je suis gay! Elle me manque terriblement et je pense que ce sera toujours le cas. Notre relation a été un succès, même s’il y a eu des moments très difficiles. Quand elle devait partir, est arrivé son petit-fils, l’enfant de ma s£ur Martha, né en novembre 2009: cela a été très dur pour elle.

La maladie de votre mère, souffrant d’un cancer, a-t-elle influencé l’écriture de Prima Donna?

L’aria final de mon opéra, que je reprends également sur mon album solo, Les feux d’artifice t’appellent, me semble clairement lié à ma mère. A un certain moment, ma mère s’est préparée à partir, dans une paix relative, même si celle-ci a été précédée de nombreuses colères. Elle était comme une bohémienne, faisant sa sacoche (en français) pour le dernier voyage… Son foie ne tenait plus le coup et lorsque cela arrive, après une ou deux semaines, vous sombrez dans le coma parce que tout le poison gagne le cerveau. Bizarrement, c’est un processus très paisible parce que le malade glisse dans une sorte de sommeil… Aux derniers moments, je tenais sa main, regardant son visage.

Le nouvel album, All Days Are Nights: Songs For Lulu, (lire critique page 35) est intégralement en piano/voix!

Oui, le piano est devenu mon ancrage dans cette folle opération que fut l’opéra et cet album est une façon de ne plus me protéger de mes propres sentiments. Et puis on vit dans une véritable récession et ce disque est aussi un moyen de survie économique.

Musicalement parlant, il sonne aussi très français, romantique, impressionniste…

On y retrouve très fort l’influence de Barbara, dont je suis un grand fan. Je suis également un grand admirateur de Nina Simone qui a été la première à combiner la musique populaire à la musique classique sans perdre la respectabilité des 2 genres, sans la moindre dilution musicale. Même si elle était mentalement malade, dépressive et probablement toxicomane.

On peut parler de votre addiction à la méthamphétamine?

Oui, c’était en 2000-2002 mais ce n’était pas seulement cette drogue-là. J’ai essayé toutes les drogues et on peut dire qu’elles ont toutes quelque chose de positif ou d’intéressant mais il n’y a RIEN de bien dans la méthamphétamine (appelée aussi crystal meth) qui vous déconnecte complètement du monde, ne vous amène à aucune réévaluation spirituelle ou autre . Pour moi, c’est une drogue purement diabolique, donc j’ai fini par aller en cure…

(1) Aucune sortie en disque n’est actuellement prévue mais le DVD Prima Donna – The Story Of An Opera sort chez Universal le 3/05 (review dans le Focus du 30/04).

En concert piano/voix le 2/05 au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles,

www.bozar.be

Rencontre Philippe Cornet, à Londres

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