PATERNITÉ HEUREUSE, ENFANCE AUPRÈS DE PARENTS NON-VOYANTS, VOIX EN PAPIER DE VERRE, EXPÉRIENCES PSYCHIATRIQUES: BIENVENUE AUTOUR DE LIONS, SIXIÈME ALBUM TACTILE DE WILLIAM FITZSIMMONS.

Dès le début de la rencontre, début décembre au Botanique, on se dit qu’on n’a sans doute jamais rencontré quelqu’un d’aussi… gentil. Vertu peu rock -voir le chapitre Lou Reed-, oxygène rare au royaume des ego hypertrophiés. C’est pourtant l’élément d’intro chez cette asperge américaine de 35 ans, crâne rasé et barbe biblique. Raccord avec la texture même des chansons de Lions qui donnent l’impression d’embarquer dans un drone au-dessus de territoires affectifs, ces cartes que chacun dessine donc d’après sa vie vécue. Fitzsimmons: « J’ai travaillé pendant quatre ans à Camden, New Jersey, avec des patients enfermés en psychiatrie. J’ai détesté (…). Beaucoup d’entre eux étaient des malades classiques, des schizophrènes, des bipolaires, et pas mal de gens ayant abusé de drogues. Certains menaçaient de se tuer si on ne les internait pas. J’étais jeune et pas vraiment prêt à affronter tout cela, j’ai fini par partir pour un boulot plus extérieur où je me suis davantage occupé de dépressifs. Là, j’ai compris que de la naissance à la mort, la plupart des gens ne changent guère. » Sous le crâne glabre, les histoires circulent. Alors quoi d’autre, un tremblement de terre, un cancer, une épidémie de choléra en Pennsylvanie, Etat où William grandit? Non, dans ce CV qui aurait intéressé Mireille Dumas -à condition qu’elle parle anglais et arrête le Joe Dassin-, il y a aussi le berceau psyché de deux parents non-voyants. « Mon père comme ma mère sont nés prématurés, placés en couveuse sous un taux d’oxygène exagérément élevé, donc toxique, qui a fini par brûler les cellules de la vue. Mais pour moi et mon frère aîné, c’était formidable de grandir comme cela. » Dans ce milieu différent « sans images sur les murs », tout passe donc par les mots: « La musique prend alors une énorme importance, d’autant que mon père est une sorte de classical freak. » Le pater construit à domicile un orgue à tuyaux, avec l’aide de quelques amis voyants, alors que maman Fitzsimmons use le catalogue folk des James Taylor-Joni Mitchell. Le « centre de gravité » de William est dessiné. On peut aussi rajouter un ingrédient religieux, mère catholique et père protestant, et voilà un chanteur-compositeur qui croit en Dieu: « Ma foi signifie que je suis convaincu de ne pas devoir produire des choses douloureuses. Les chansons font partie du processus de guérison (sic) mais elles ne suffisent pas: lorsque je me suis séparé de ma première femme, je suis allé m’amender auprès d’elle pour le mal que je lui avais fait. La mélancolie fait partie des shows, comme le fun: je peux être triste sur scène mais lâcher une blague. On sait bien que la vie est un mix de sentiments divergents. Certains morceaux de Lions, comme Took, ne devraient pas être revigorants mais pourtant, ils le sont. »

Grey’s Anatomy

L’album Lions est une bonne chose et son style prolonge ce que l’on sait déjà de Fitzsimmons: ce garçon a de l’artichaut dans l’âme. Pas qu’il en fasse n’importe quoi, évitant par exemple de céder au morceau dit « du nouveau-né »: « Oui, j’ai évité la chanson du nouveau papa gaga, même s’il y a quelques rares bons modèles, comme le There’s Money In New Wave d’A.C. Newman des New Pornographers, assez loin des comptines habituelles. Là, je parle de l’adoption de mon bébé de 19 mois et de la façon dont la mère biologique qui aime son enfant s’en est détachée. C’est l’expérience la plus extraordinaire que j’ai vécue jusqu’ici: a priori, la mère peut sembler horrible, mais ce n’est pas du tout le cas. » William est né à Pittsburgh -« une ville blue collar qui a longtemps été un important centre métallurgique au bord de la rivière Ohio. Les gens y aiment l’idée de famille, la musique, pas la frime. »Et a grandi dans ce coin d’Amérique où Bruce Springsteen sert de mètre-étalon. Là, il réside dans une petite ville de l’Illinois, Springfield, à quatre heures de voiture de Chicago. Il a bien essayé de vivre à Manhattan, mais cela l’a « complètement saoulé », et ce n’est même pas la peine de lui parler de L.A. Pourtant, Hollywood n’est pas resté insensible à ses sirènes musicales, par série interposée: ses titres Passion Play et Please Don’t Go ont été incorporés dans Grey’s Anatomy. « C’est agréable, cela aide à payer les factures puisqu’une chanson placée peut apporter de 10 000 à 15 000 dollars. D’ailleurs, certaines de mes musiques préférées viennent de la pub ou de séries: je n’aurais sans doute jamais découvert Nick Drake sans l’utilisation de son Pink Moon dans un spot pour VW. » Le succès de William, sans jamais joindre le mainstream, lui permet de se transbahuter en Europe et aux Etats-Unis. Rêve américain servi dans un nuage de spleen? « Ce rêve, j’ai l’impression de le vivre, oui. J’ai une famille merveilleuse, je joue de la musique, tout cela est sain, et puis je considère avoir une seconde chance dans la vie avec mon second mariage. Je suis un peu comme le lion de la pochette: j’admets que la beauté puisse être aussi une notion sauvage et bestiale. Cette dualité est celle de la mère dont j’ai adopté l’enfant, et la plupart des gens la connaissent… »

EN CONCERT LE 11 MARS À L’ATELIER DE LUXEMBOURG, LE 12 AU DEPOT DE LEUVEN ET LE 13 AU HANDELSBEURS DE GAND.

RENCONTRE Philippe Cornet

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