Projectiles au sens propre

© C. HÉLIE / GALLIMARD

Dans un texte célèbre, Gilles Deleuze avait un jour écrit de Michel Foucault qu’il était notre  » nouvel archiviste » -celui qui avait réinventé l’art de se plonger dans les traces du passé pour mieux en faire bifurquer la narration dans la direction la plus inattendue. Davantage encore que Foucault, Pierre Senges est aussi un archiviste en ce sens. De livre en livre, d’un opuscule consacré à ceux qui tombent ( Essais fragiles d’aplomb, 2002) à un autre sur Macbeth ( Sort l’assassin, entre le spectre, 2006), d’une immense traversée de l’oeuvre de Georg Christoph Lichtenberg ( Fragments de Lichtenberg, 2008) à une sorte d’anthologie des géographies imaginaires ( Environs et mesures, 2011), il dessine les méandres d’une strate de la culture mondiale qu’il est le seul à voir, mais dont, à le lire, on se rend compte qu’elle nous informe davantage que ce que nous serions prêts à admettre. Avec Projectiles au sens propre, ce qui pouvait passer pour un divertissement de lettré cultivé prend toutefois un virage supplémentaire. Senges y décrit en effet les tenants, les aboutissants, les suites, les enjeux, les mystères et les coïncidences ayant entouré ce qui a longtemps constitué la plus longue bataille de tartes à la crème de l’Histoire du cinéma: La Bataille du siècle, un court métrage de Laurel et Hardy tourné en 1927. La considérant avec le même soin presque précieux qu’il mettait naguère à raconter la manière dont les candidats à l’envol qui se lançaient depuis la tour Eiffel nouvellement construite finissaient hélas par se casser la pipe, il livre ainsi une clé essentielle de son art poétique: celui du burlesque propre à tout savoir. Si Senges est bien un nouvel archiviste, c’est donc parce que l’univers de savoir dont ses livres constituent l’encyclopédie est d’abord une carte de la drôlerie fondamentale du monde, de l’absence de sérieux qui gouverne jusqu’au plus tragique. Il ne faut pas se priver de rire avec lui.

Projectiles au sens propre

De Pierre Senges, éditions Verticales, 168 pages.

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