Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

AVEC EARTHEE, LES FILLES DE THEESATISFACTION MALAXENT UNE SOUL COSMIQUE. ET ENVOIENT VALSER AU PASSAGE LES QUESTIONS DE RACES ET DE GENRES.

THEEsatisfaction

« EarthEE »

DISTRIBUÉ PAR SUB POP.

7

C’est un drôle de moment pour les musiques black américaines. Elément central de la culture pop mondiale, elles se débattent sans cesse avec leurs origines. Peut-on devenir star mondiale et négliger la « cause »? A l’inverse, doit-on forcément s’impliquer et lever le poing parce que l’on est né Noir et que l’on rencontre le succès? Le dilemme est insoluble. A moins peut-être de le prendre par le haut, comme une série d’artistes ont de plus en plus tendance à le faire.

C’est par exemple le cas du collectif arty Black Constellation, dont font partie notamment Shabazz Palaces (l’excellent Lese Majesty, paru l’été dernier) ou encore THEEsatisfaction. L’idée? Partir, éventuellement, de la race, ou de toute autre spécificité (le sexe, les origines), pour élargir vers l’universel et retisser du lien. Ne pas nier l’individualité donc, mais en faire le point de départ d’autres débats plus larges, qui toucheraient l’Humanité entière. Et au-delà. Jusqu’à son nom même, le collectif cultive en effet un goût pour le sacré et le cosmos. La démarche n’est pas neuve. De tous temps, les artistes afro-américains ont développé des univers « extra-terrestres », leur permettant d’échapper à leur aliénation sur Terre. Des délires afro-futuristes du jazzman Sun Ra aux fantaisies spatiales de Parliament-Funkadelic…

Il y a un peu de tout ça dans la démarche de THEEsatisfaction et leur nouvel album baptisé EarthEE (voir par exemple la pochette). Stasia « Stas » Irons et Catherine « Cat » Harris-White se sont rencontrées à l’Université de Washington, avant de devenir partenaires dans la vie comme à la scène. Deux femmes, noires, homosexuelles: dès le départ, le projet a semblé tenir du parcours d’obstacles, un pied de nez à tous les conservatismes (y compris celui présent dans le milieu rap). Le militantisme du duo n’a pourtant jamais été frontal. THEEsatisfaction prend ainsi volontiers la tangente, filant vers des hauteurs cotonneuses. Concrètement, le duo donne une version décalée de la soul music, mélangée avec des éléments hip hop, r’n’b, voire jazz. On pense par exemple à Erykah Badu, dans ses penchants les plus psychédéliques…

Le premier album de THEEsatisfaction n’excédait pas la demi-heure. Avec EarthEE, le binôme s’étale cette fois plus longuement (sur près de trois quarts d’heure). Malgré cela, la plupart des morceaux ne dépassent pas les 3 minutes 30. Pour ce genre de trip spatial, c’est parfois un peu court. Mais cela empêche aussi les miniatures cosmiques de se perdre, voire de sombrer dans l’ennui. La plupart du temps, les morceaux paraissent ainsi suspendus dans l’éther, comme en apesanteur (Nature’s Candy, Universal Perspective avec Meshell Ndegeocello, ou l’explicite Post-Black, Anyway…). Tout en gardant malgré tout un oeil sur les affaires terrestres (l’excellent Blandland avec Ishmael Butler de Shabazz Palaces). Avec des titres comme No GMO, ou Planet For Sale, EarthEE pourrait même revendiquer un discours écolo. A moins qu’il ne s’agisse à nouveau de relier le particulier et l’universel, à la manière d’une sagesse intemporelle –« Rivière, puis-je boire de ton eau, demanda l’oiseau » sur Prophetic Perfection

LAURENT HOEBRECHTS

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