Prendre refuge

Deux époques complexes, deux histoires d’amour contrariées, pour autant de possibilités de décliner le mot « refuge ». En 1939, en Afghanistan, une voyageuse européenne tombe amoureuse d’une architecte, à l’ombre des Bouddhas de Bâmiyân, alors que la guerre éclate en Europe. À Berlin, en 2016, un jeune Allemand passionné d’Orient s’éprend d’une réfugiée syrienne, rescapée d’Alep, perdue parmi un million d’autres. Il y a ici, dans ces 344 pages qui se lisent, oui, comme un roman, à la fois le refuge au sens que lui donnent les bouddhistes et les réfugiés syriens, et même l’idée du refuge amoureux. Le refuge, et la trace, comme celles que vont laisser Zeina Abirached et Mathias Enard avec ce Prendre refuge entièrement réalisé au gros trait noir et blanc. L’auteure et dessinatrice a rencontré l’écrivain au moment où sortaient respectivement pour l’une Le Piano oriental et pour l’autre La Boussole, devenu Prix Goncourt. Elle d’origine libanaise, ayant vécu à Berlin et à Paris, lui ayant voyagé longuement au Moyen-Orient, ayant fait des études d’arabe et de persan, étaient faits pour se rencontrer et croiser leurs univers. Mais le mélange se fait ici fusion, au point d’avoir le sentiment d’avoir affaire à un vrai et rare « roman graphique », avec une grammaire éminemment littéraire pourtant réalisée à l’économie de mots, sans voix off et juste quelques dialogues: tout passe ici par les images d’un noir et blanc très contrasté, typique de son auteure. Une technique qu’elle pousse ici jusque dans ses retranchements, dilatant le temps et la narration parfois jusqu’à l’extrême -d’où ces impressionnantes 350 pages. La graphiste prend alors parfois le pas sur la dessinatrice, léger bémol à la réussite de ce roman à deux têtes, quatre mains et beaucoup d’encre noire.

Prendre refuge

De Zeina Abirached et Mathias Enard, Éditions Casterman, 344 pages.

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