Premier de cordée

Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Face à la noirceur ambiante, Babx choisit de viser les hauteurs. Et emmène avec lui une chanson française différente et audacieuse, nourrie au jazz…

Babx

« Ascensions »

Distribué par BisonBison.

7

On en remet une couche, mais sans se faire trop d’illusion. Outsider de la chanson française, Babx l’est, et risque bien de le rester encore un moment. C’est peut-être injuste -ils ne sont pas nombreux aujourd’hui, sur la scène hexagonale, à proposer une voix/voie aussi personnelle et audacieuse-, mais pas complètement anormal. Il n’est pas impossible que cette position à la marge convienne d’ailleurs très bien à l’intéressé lui-même. Ne l’a-t-il pas au fond un peu cherchée?

Après un premier disque nommé aux Victoires de la musique 2007 (catégorie Album révélation de l’année) et des collaborations avec les « Nouvelles Stars » émancipées Julien Doré et Camélia Jordana, David Babin (1981) de son vrai nom semblait avoir la route du succès toute tracée. Seulement voilà, la reconnaissance critique tardera à se transformer en succès public. Certains en seraient ressortis tétanisés. Lui, au contraire, en tirera un nouvel élan. Après trois disques, distribués par de gros labels, il décide de tracer sa route en solitaire. Il crée pour cela sa propre microstructure, BisonBison, inaugurée en 2015 avec Cristal Automatique 1. Disque mettant en musique une dizaine de poèmes -de Rimbaud à Jean Genet-, il ressemble à une déclaration d’indépendance. Babx est libre. Et ça lui va bien…

La légèreté

Deux ans plus tard, il poursuit sa quête. Sorti le lendemain du jour de l’Ascension, l’album du même nom partage aussi son titre avec un disque de John Coltrane, l’un de ses premiers essais free jazz enregistré en 1965. Le rapprochement est fortuit mais pas complètement incongru: plus que jamais, Babx s’est plongé dans le jazz pour nourrir sa musique. Et panser les plaies et les tourments. Il explique en effet comment les attentats de novembre 2016 ont pu, comme beaucoup, le laisser groggy, sonné. Et comment la musique a pu le secouer et le tirer de sa torpeur. Il cite les aventures sonores de musiciens comme Max Roach, Archie Shepp ou Albert Ayler. Des jazzmen qui ont réussi à créer une musique qui tenait à la fois du sacré et du cri de révolte.

C’est précisément à cette intersection que se pose Ascensions. Le disque démarre ainsi avec le morceau Omaya, consacré à Omaya Al-Jbara, combattante irakienne qui mena la résistance dans son village face à Daesh, avant de se faire abattre par un sniper. Découpé en trois parties, le titre est repris en fin de disque, sublimé par la présence… d’Archie Shepp himself! Plus loin, sur Le Déserteur, seul au piano, Babx change de « camp » et imagine l’enterrement anonyme de l’un des kamikazes du Bataclan (« ce matin d’hiver où pleuvent les corbeaux/de personne tu ne fus le héros« ). Du malheur, le disque veut toutefois s’extraire par le haut. C’est le morceau Tango, repéré par Babx dans une série de docus de Werner Herzog baptisée… Les Ascensions. Dans le film du réalisateur allemand, le titre est chanté par un paysan guadeloupéen rêveur, qui refuse de quitter ses terres menacées par une éruption volcanique. N’ayant pas pu obtenir les droits, Babx fait chanter ici l’air populaire par Mujahid Hajana, un réfugié politique soudanais… Le message de résistance (par la musique, la poésie, la danse, etc.), lui, ne change pas. Aussi dérisoire qu’indispensable.

Laurent Hoebrechts

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