ALLÉLUIA BROTHERS AND SISTERS… LE REVEREND BEAT-MAN VIENT PRÊCHER LA PAROLE SALACE DU BLUES TRASH, DU PUNK GARAGE ET DU VOODOOBILLY AUX ATELIERS CLAUS. PORTRAITS DU ROCKER ET DU LABEL LES PLUS CINGLÉS DE SUISSE…

« Tu ne sais pas jouer de la guitare, tu fais fuir les gens. » En 1931, Robert Johnson est humilié par Son House qui lui conseille, moqueur, d’abandonner la gratte pour se concentrer sur l’harmonica. Quand il revient deux ans plus tard après avoir réalisé des progrès stupéfiants, Robert raconte avoir pactisé avec le diable, la légende se répandant largement dans une communauté noire du Mississippi où le vaudou est omniprésent.

Sympathy for the devil… Beat-Man aussi a rencontré le malin. Il avait treize ans et il l’a gentiment envoyé se faire voir. « Il m’a dit: « Soit tu viens avec moi et je fais de toi une rock star, soit tu te débrouilles tout seul. » Il est revenu au bout de trois jours et je lui ai dit que j’allais me démerder sans lui.  »

Il est comme ça, le plus rock’n’roll des Suisses: indépendant, furieusement indépendant. Né Beat Zeller à Berne en 1967, l’année du Summer of love, Beat-Man grandit à Hinterkappelen. Autrement dit au milieu de nulle part. Perdu dans la campagne, entouré de fermiers et de leurs fils fans de hard rock, d’AC/DC et de Status Quo. Dans la discothèque de ses vieux, trônent des disques d’Elvis et de Bill Haley. Son frère écoute des trucs bizarres de la fin des années 70 et du début des années 80. Punk, musique industrielle, new wave… « Il a réalisé un beau jour qu’il préférait porter des vêtements de femme que des vêtements d’homme. Ses potes à Berlin l’ont familiarisé à Neon Judgement et aux Cramps… Il a découvert qu’il était une drag-queen, et moi j’ai compris que j’étais un rockeur. En Suisse, à l’époque, on avait une demi-heure à peine de rock’n’roll par semaine à la radio et il n’y avait rien pour la culture jeune à la télé. Mais on avait un vieux poste avec lequel on pouvait capter les chaînes anglaises. »

Beat-Man devient un punk et enregistre ses premières cassettes à treize piges avec le matos rudimentaire de son père. Il se fait appeler Taeb Zerfall. « J’essayais de mélanger Elvis Presley et Einsturzende Neubauten. Deux de mes artistes préférés. »

En 1986, il prend la vague psychobilly (pour faire court un mélange de punk et de rockab) et forme les Monsters. Il part ensuite aux Etats-Unis où il découvre le dieu des hommes orchestres Hasil Adkins et La Lucha Libre.

« C’était en 91 ou 92. J’étais à Los Angeles pour la première fois. Et je me suis mis en tête de mélanger mon projet de one-man-band à la lutte mexicaine. J’étais déguisé et je me battais contre moi-même. C’était plutôt pratique. Je gagnais tout le temps. »

Beat-Man va jusqu’à tourner avec un ring et des catcheurs. Il débarque à ses concerts en tueur masqué et cherche la castagne. Son public se prend au jeu. « Derrière le masque, tu es quelqu’un d’autre. Ça m’a vraiment désinhibé. Sans masque, je n’aurais jamais fait les mêmes conneries. Mais à un moment, ça a donné naissance à un deuxième moi. Un moi qui allait beaucoup trop loin. J’étais possédé. Et c’était de pire en pire à chaque tournée. Lightning Beat-Man a détruit des oeuvres dans des galeries d’art, frappé des gens… C’était quelqu’un d’extrêmement agressif.  »

Blues Trash Church

Personnage pour le moins atypique, Beat Zeller s’est vaguement essayé au métier de comédien. Il a joué dans une adaptation de l’Orphée de Jeremias Gotthelf, qu’il présente comme le Goethe suisse, et a incarné Popeye dans une pièce muette. Il apparaît aussi, en noir et blanc, dans l’histoire d’un braqueur de banque qui sort de prison: The Road to Nod (2007) de M.A. Littler. Mais le rôle de sa vie, c’est celui du Reverend Beat-Man.

En 1999, quand il se pète le dos, le nez, puis perd carrément la voix pendant pratiquement un an, Zeller voit la lumière pour la première et la dernière fois de sa vie. Robert Johnson et Screamin Jay Hawkins lui parlent en rêve. « Ils m’ont conseillé de changer de voie. Et c’est ce que j’ai fait. Je suis devenu un Révérend. Ce que je suis maintenant. Un mec qui dit aux gens ce qui lui semble juste. Je ne sais pas ce que je prêche, mais les types arrivent à mes concerts avec des gueules d’enterrement et repartent avec le sourire. C’est plutôt bon signe non? »

Beat-Man a été jusqu’à fonder son église: la Blues Trash Church. Ses commandements? « Enregistrez votre album en deux jours et gardez le reste de votre fric pour acheter un chouette truc rock’n’roll à votre famille. » « La tournée est l’endroit où on mange gratuit (…). Essayez toutes les bonnes bières. Dites non à la Becks, à la Bud et à la Heineken. » Ou encore: « Ne léchez pas de cul. Vous n’êtes pas un politicien. » Un homme plein de bon sens, on vous dit…

Si Beat-Man a eu tellement de groupes (Monsters, Die Zorros, The Coronets…) qu’il a un jour arrêté de les compter, le one-man-band reste sa profession de foi. « Quand tu es dans un groupe, chacun a son mot à dire. C’est ce qui en fait une démocratie. Fondamentalement une bonne chose en musique. Sauf que quand un truc te vient en tête et que tu es décidé à rapidement l’exploiter, tu te retrouves dans la merde… Le one-man-band, ça te permet d’envoyer directement tes idées dans ta guitare et de les laisser sortir. De faire les choses vite et bien. »

Dans ses morceaux, armé de son mini-kit de batterie et d’une voix flippante à convertir les hérétiques, Beat-Man raconte des histoires glauques et drôles. Puis celles du rock primitif, du blues et du gospel trash… Car, au final, ce que défend le plus ardemment cette légende de l’underground suisse, c’est la bonne musique. Une bonne musique qui en a dans le pantalon. « Je suis un record junkie. Quand je vois des disques, je ne peux pas m’empêcher de les acheter. Je me promène dans un tas de marchés aux puces. J’achète plein de vinyles. Des choses parfois formidables et complètement terrées dans l’anonymat. »

Ses trouvailles, Beat-Man les partage via son label, Voodoo Rhythm (lire par ailleurs) mais aussi à travers son podcastDusty Record Cabinett et le radioshow Sonic Nightmares. Comme dit souvent le Révérend: « If it’s too loud, you’re too old… »

LE 30/11 AUX ATELIERS CLAUS (BRUXELLES) AVEC CHANTAL MORTE, HOUSE OF DRAMA, LALLA MORTE, MISSY MACABRE, KIKI PICASSO ET ELI EL SULTAN.

RENCONTRE Julien Broquet

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