Poupée de sang

Les jeux indés de l’atelier SentÔ dévoilent un Japon invisible. The Doll Shop, leur dernier projet, frémit entre délicatesse et horreur.

Au Japon, les bains publics se vident de leurs visiteurs. Si bien que l’archipel ne compte plus que trois peintres de fresques traditionnelles oeuvrant sur leurs murs embués. Fascinés par l’âme invisible de l’archipel qu’ils ont parcouru de long en large, Cécile Brun et Olivier Pichard ont nommé leur studio(1) en hommage à ces lieux de convivialité et à leurs artistes en voie de disparition. Ce couple français, auteur d’une BD et de cinq jeux indés collaboratifs, cultive depuis deux ans une fascination sans borne pour les mythes et légendes nippons. The Doll Shop, leur dernier point & click, délaisse toutefois le fantastique pour une fable noire, dans un village blanc de neige.

Les quatre précédents point & clicks co-créés par le duo basé à La Balme-de-Thuy (près d’Annecy) flottaient autour d’apparitions surnaturelles. The Doll Shopsaisit le pinceau d’un jeune artisan de poupées traditionnelles pour plonger dans le réalisme de son quotidien solitaire, en plein hiver. Sans véritable énigme, le jeu indé vaut surtout pour ses aquarelles animées et son scénario. Ses différentes conclusions découlent de dialogues à choix multiples avec les villageois dont le jeune homme répare les poupées traditionnelles. En particulier celle de son ancienne amie d’enfance, revenue de la ville pour visiter ses grands-parents…

Poupée de sang

Yes, We’re Open

En à peine 30 minutes de jeu, Cécile Brun et Olivier Pichard brossent, à force de détails charmants, un Japon rural sublime d’isolement, sous la neige. Leur fable hantée par une fillette disparue soulève doucement un certain malaise. Artisanat séculaire, dépeuplement des villages japonais, célibat (enterrant le taux de natalité national), The Doll Shop brasse avec justesse plusieurs thèmes d’actualité. Jusqu’à tomber dans l’innommable.

Inversement proportionnelle à la noirceur de son récit, la douceur des illustrations de The Doll Shop est le fruit d’un travail à la main, en trois jours, de 23 étudiants de l’école supérieure d’art ECV de Bordeaux. Cécile Brun et Olivier Pichard ont, de leur côté, codé le jeu et écrit son scénario. Cette création -la plus ambitieuse de Sentô- est à l’image de leurs précédentes productions gaming. Inspirés de leur voyage à Okinawa, la ruelle ensablée, les poissons et l’ambiance tropicale de Sango Tales from the Coral Cave avaient ainsi été dessinés par des écoliers, lors d’un atelier de création jeu vidéo. Tout comme Return of the Samurai, la rencontre Yokaï(2) de Yurei Station et After School, courte histoire d’amour adolescente et surnaturelle.

Mélangeant leur savoir-faire avec des projets éducatifs pour écoliers et étudiants, l’Atelier Sentô pratique également la photographie, le sténopé et la peinture à l’eau. L’an dernier, le duo signait en outre Onibi (éditions Issekinitcho), un roman graphique fantastique récompensé par le Ministère japonais des Affaires étrangères d’un Prix international du manga. À quand une reconnaissance équivalente dans le monde du jeu vidéo?

The Doll Shop

Édité et développé par Atelier Sentô, âge: 12+, disponible gratuitement sur PC via ateliersento.itch.io/dollshop

8

(1) Sentö désigne un bain public en japonais.

(2) Les Yokaï sont des esprits séculaires fortement ancrés dans la tradition japonaise.

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