Louis Danvers
Louis Danvers Journaliste cinéma

IMMOBILE ET REBELLE – L’OVNI DE LA RENTRÉE NOUS VIENT DE COLOMBIE. ENTRE INCONFORT ET BEAUTÉ, FICTION ET DOCUMENTAIRE, CE PORTRAIT D’UN PARALYTIQUE RÉVOLTÉ MARQUE LE SPECTATEUR.

D’ALEJANDRO LANDES. AVEC PORFIRIO RAMIREZ, ALDANA JARLINSSON, RAMIREZ REINOSO. 1 H 41. SORTIE: 05/09.

En 2005, un Colombien paralytique montait à bord d’un avion de ligne en dissimulant deux grenades dans sa couche étanche. Une fois en vol, il commit le détournement le plus inattendu de l’histoire de l’aviation… S’il avait opté pour cet acte extrême, c’était par révolte, car c’est une balle perdue lors d’une descente de police qui l’avait rendu paraplégique, et qu’aucune compensation ne lui avait été accordée malgré des années d’attente et de multiples actions en justice. Condamné à une période de détention à son domicile, Porfirio Ramirez est aujourd’hui face à la caméra, jouant son propre rôle dans un film qui raconte son histoire. Un film aux allures de documentaire, mais dont chaque plan a été soigneusement pré-dessiné dans un storyboard, et dont chaque réplique a été précisément écrite. Une fiction, donc? Pas vraiment non plus, puisqu’on y voit Porfirio poser tous les gestes de sa vie quotidienne. Tous les gestes, y compris ceux de l’amour toujours ardent qu’il porte à sa compagne. Et qu’il reproduit pour le film certaines étapes décisives de son parcours comme une vaine visite chez son avocat, et les préparatifs du détournement d’avion…

Porfirio est assurément l’ovni cinématographique de la rentrée, de l’année même peut-être. Son jeune réalisateur Alejandro Landes, né au Brésil d’un père colombien et d’une mère équatorienne, a étudié aux Etats-Unis avant d’aborder le cinéma avec un documentaire ( Cocalero) remarqué au Festival de Sundance. Il signe avec Porfirio une £uvre férocement inclassable, qu’on ne peut comparer significativement qu’à certains films de jeunesse de Werner Herzog, notamment Stroszek ( La Ballade de Bruno). Aux confins du réel et de la fiction, Landes nous propose un spectacle à la fois inconfortable, voire éprouvant, et d’une lumineuse beauté. La routine de la vie du héros, pénible, lente et douloureuse, s’affiche sans fard. Mais cette même routine devient source de sublime par le cadre, la durée, la proximité d’un être dont l’humanité blessée, la frustration mais aussi et surtout la résilience, prennent une admirable évidence. Portrait d’un de ces petits, de ces pauvres, de ces malchanceux que la société ne veut pas regarder, Porfirio laissera sur le bord du chemin ceux et celles pour qui la vision d’un corps diminué, d’une sexualité hors norme, est quelque chose de choquant. Il irritera aussi, sans doute, les impatients auxquels le rythme lent, les moments d’immobilité très logiquement proposés par Alejandro Landes, donneront des fourmis dans les jambes. Mais aux autres, aux curieux de cinéma et d’êtres différents, le film réserve une émotion majeure. l

LOUIS DANVERS

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