THE COMPANY YOU KEEP, THRILLER SOUS TENSION EMMENÉ PAR ROBERT REDFORD, CHARRIE SON LOT DE QUESTIONNEMENTS À TENEUR POLITIQUE. DU PETIT LAIT POUR SUSANSARANDON, DONT L’ENGAGEMENT LÉGENDAIRE FAIT VOLONTIERS JASER À HOLLYWOOD. INTERVIEW SANS LANGUE DE BOIS.

Elle tient un rôle-clé mais secondaire dans The Company You Keep, le nouveau film de Robert Redford. Un cas de figure dont l’actrice, 66 ans, semble s’accommoder ces derniers mois, multipliant les apparitions plus ou moins éclairs dans des productions US en vue, du solide Arbitrage au calamiteux The Big Wedding, en passant par Robot and Frank ou encore Cloud Atlas.

Il faut dire qu’avec la filmographie kilométrique qu’elle traîne derrière elle, Susan Sarandon n’a plus grand-chose à prouver. Venue au cinéma un peu par hasard -elle accompagnait son mari d’alors, Chris Sarandon, acteur dont elle gardera le nom, à un casting-, elle fait son apparition sur les écrans en 1970 dans Joe en grande sauterelle désoeuvrée à l’allure de hobo, l’oeil rond halluciné balayant le vide. Le premier d’une longue liste de personnages mémorables: jeune oie blanche d’un rock musical débridé sous haute tension sexuelle dans The Rocky Horror Picture Show (Jim Sharman, 1975), serveuse désabusée qui se rêve en croupière de casino dans Atlantic City (Louis Malle, 1980), vampire kitschissime adepte des amours saphiques dans The Hunger (Tony Scott, 1983), femme à poigne éprise de liberté en jeans moulants dans Thelma et Louise (Ridley Scott, 1991), religieuse à l’amour extra-large dans Dead Man Walking (Tim Robbins, 1995)… Parmi d’autres.

On rencontre la comédienne dans un hôtel de la fameuse Museumplein le 6 novembre 2012, en marge de l’Amsterdam Film Week dont elle est l’invitée d’honneur. La date n’est pas anodine: alors que, quelques jours plus tôt, l’ouragan Sandy s’est abattu sur New York, où l’actrice a grandi et vit toujours aujourd’hui, il ne faudra plus attendre qu’une poignée d’heures seulement pour connaître le nom du vainqueur de la 57e élection présidentielle américaine. Ajoutez à cela la rétros- pective consacrée à ses films qu’elle est venue défen-dre dans la cadre de l’événement amstellodamois, et l’on comprendra aisément que la journée s’annonce riche en émotions pour l’actrice, pas du genre ceci dit à se laisser démonter.

C’est un jour un peu particulier pour vous…

Oui, les événements de ces derniers jours ont été préoccupants. C’est vraiment tout un bordel là-bas à cause de la catastrophe qui vient de toucher la ville, et je crains que beaucoup de gens de Jersey, notamment, ne rencontrent des problèmes pour voter… Heureusement, New York est un Etat solidement démocrate: tout devrait bien se passer.

S’agissant de cette rétrospective, ici à Amsterdam, je dois d’abord préciser que je regarde rarement les films dans lesquels j’apparais. Mais ce genre d’initiative me plaît, dans la mesure où cela permet de donner une seconde vie à des oeuvres que les gens ont peu eu l’opportunité de voir. Je pense à Romance & Cigarettes, par exemple, un film choral réalisé par John Turturro. Bon, j’y incarne sans doute le personnage le plus emmerdant du lot mais James Gandolfini chante, et Kate Winslet et Mary-Louise Parker sont réellement incroyables. Tout le monde connaît The Rocky Horror Picture Show ou Dead Man Walking, mais vous devez absolument voir Romance & Cigarettes.

On ne compte plus, en effet, les références et les hommages au Rocky Horror Picture Show. Encore récemment, dans The Perks of Being a Wallflower

Je n’ai pas vu le film mais je suis devenue très amie avec Ezra Miller. Il est très actif, lui aussi, dans le mouvement Occupy. A ce propos, c’est amusant que vous parliez du Rocky Horror parce que Dave Stewart d’Eurythmics m’a récemment approchée pour un projet de film, une comédie musicale avec des zombies. L’histoire d’une compagnie d’acteurs de Broadway qui se retrouve isolée à New York alors que des morts-vivants s’emparent de la ville, et ils réalisent que la seule faiblesse de ceux-ci, c’est le chant, la danse. Bref, j’ai recommandé Ezra pour jouer un jeune zombie. Moi, bien sûr, j’ai dit que j’étais partante pour incarner la bitchy diva de service. Ça peut être marrant, non?

Certes. Peut-on dire que le Rocky Horror Picture Show a constitué un tournant, un moment-clé de votre parcours d’actrice?

Oui et non. Il faut rappeler que quand le film est sorti, il a fait un flop retentissant, et qu’il a disparu des radars cinéphiles pendant plusieurs années. Je me suis retrouvée au casting par accident. Je connaissais Tim Curry, je suis passée dire bonjour et on m’a demandé d’auditionner, l’idée étant de faire de mon personnage une sorte de condensé satirique de toutes les ingénues que j’avais pu jouer jusque-là. Mais j’étais réticente, je ne voulais pas chanter. Mon père était chanteur à la grande époque des big bands, il était très bon et on m’a toujours dit à la maison que je n’étais pas faite pour ça. Finalement, j’ai accepté en pensant que ça m’aiderait à dépasser ce blocage par rapport au chant, mais ça n’a pas marché, ce blocage je l’ai toujours, et pourtant, croyez-moi, j’ai dû chanter dans un paquet de films, on n’arrête pas de me demander de chanter, en fait (sourire). Toujours est-il que le Rocky Horror Picture Show a fini par devenir culte au fil des ans, à tel point que le film restera peut-être comme le plus marquant de ma carrière dans l’esprit des gens, alors que je m’y suis retrouvée par hasard, pour m’amuser. La plupart des choses que j’ai faites, je les ai faites avant tout pour le fun.

Dead Man Walking n’est pourtant pas le genre de film qu’on fait pour le fun…

Non. C’est moi qui ai eu un coup de coeur à la lecture du livre de soeur Helen Prejean et qui me suis battue pour que le projet voie le jour. Il s’agit avant tout d’une puissante histoire de rédemption, qui soulève au passage des questions essentielles, sur la peine de mort notamment, mais sans jamais se faire moralisatrice. Incarner soeur Helen consistait à se demander: peut-on réellement aimer de manière inconditionnelle? Les personnages qui m’intéressent sont des gens ordinaires qui sont affectés par ce qu’ils voient, qui recherchent une forme de vérité, qui se positionnent de manière à être loyaux, authentiques, par rapport à eux-mêmes. Voilà ce dont les vrais héros sont faits.

Vous-même, on vous définit souvent à travers votre militantisme, même en tant qu’actrice…

On dit toujours que je fais des films politiques mais tous les films ne le sont-ils pas, d’une manière ou d’une autre? Prenez Thelma & Louise. Nous avions envie d’un Butch Cassidyand the Sundance Kid mais avec des femmes et des bagnoles à la place des cow-boys et des chevaux. Nous voulions juste raconter une belle histoire, pas signer un manifeste féministe. A sa sortie, le film a suscité une controverse que nous n’avions pas du tout anticipée. Idem pour Pretty Baby (Louis Malle, 1978, ndlr) et la question de la prostitution… Quand leur intrigue charrie des sujets sensibles, les gens réduisent trop souvent les films à des objets politiques.

En parlant de sujets sensibles, vous êtes connue pour votre franc-parler. Comme quand vous avez dit que le pape Benoît XVI était un nazi. Ce genre de déclaration a-t-il déjà nui à votre carrière dans un endroit réputé aussi politiquement correct que Hollywood?

Le problème aujourd’hui c’est que tout est sorti de son contexte, comme si nous vivions dans une espèce de reality show permanent. Suite à cette déclaration, beaucoup de gens paraissaient en colère mais personne ne semblait vraiment vouloir débattre de la question. Quand j’ai dit ça, j’étais en train de parler du pape précédent, Jean-Paul II, à qui j’avais envoyé le livre de soeur Helen Prejean, et j’ai embrayé sur l’hypocrisie de l’Eglise, à propos de la pédophilie notamment. Il y avait une vraie argumentation qui n’est pas apparue dans la polémique toute en superficialité qui a suivi. Ceci étant, Benoît XVI était vraiment un nazi, je n’ai rien inventé. De toute façon, les gens ont la mémoire courte. Ils oublient très vite. Vous voulez savoir ce qui peut le plus contribuer à ruiner votre carrière à Hollywood? Grossir ou vieillir. Sérieusement, je ne pense pas que Hollywood soit très politisée.

Et en même temps, aujourd’hui, Hollywood semble particulièrement disposée à s’emparer de sujets à forte teneur politique: Argo, Zero Dark Thirty, Lincoln

C’est vrai, mais vous admettrez qu’il s’agit là de films peu critiques envers la politique américaine. Ce qui n’enlève rien à leurs qualités respectives, bien sûr. Prenez Argo: c’est une excellente histoire et je trouve très bien que Ben Affleck prenne le temps d’en resituer le contexte. Parce que très peu d’Américains connaissent les enjeux de notre politique extérieure. Quand j’essaye par exemple d’expliquer à ma mère les exactions que nous avons commises dans certains pays, et qui ont entraîné les représailles que l’on sait, ce n’est vraiment pas facile. Si vous parlez de la politique américaine d’une manière un tant soit peu nuancée, vous êtes immédiatement catalogué comme partisan de l’ennemi. C’est d’autant plus parlant s’agissant du 11 septembre: il y a un tel degré d’aveuglement que beaucoup ne comprennent tout simplement pas pourquoi c’est arrivé. Cette ignorance est dangereuse. Donc je trouve ça bien qu’il y ait des films qui traitent de ces sujets, d’une manière ou d’une autre: ça peut donner une idée, ne fût-ce même qu’infime, de ce qui se passe en dehors du pays. C’est une honte, en ce sens, que l’on n’importe pas plus de films étrangers sur le sol américain.

RENCONTRE NICOLAS CLÉMENT, À AMSTERDAM

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