À 64 ANS, PATRICE LECONTE SIGNE UN PREMIER FILM D’ANIMATION OÙ, SOUS LA FANTAISIE MACABRE TREMPÉE DANS UN GRAND BAIN D’HUMOUR ACIDE, POINTE UN ÉLOGE TENDRE DU RIRE ET DE LA BONTÉ.

« Il n’y a pas de caméra, pas de tournage, mais il y a beaucoup de décisions à prendre. Et il faut continuellement répondre à une question: où placer cette caméra qui n’existe pas? La liberté est formidable parce qu’on peut inventer des tas de choses qui seraient impossibles en prises de vue réelles. Par exemple, suivre une odeur de crème dans les escaliers, se glisser sous la porte, monter sur le lit et arriver dans les narines du personnage qui se réveille. Ce genre de plan, j’en ai profité autant que j’ai pu.  »

On l’aura compris, le réalisateur des Bronzés, Tandem et autre Ridicule affiche un emballement certain quand il s’agit d’évoquer les trois ans de travail qu’aura nécessités Le Magasin des suicides, sa première incursion dans le cinéma d’animation. A tel point que la sortie de Music!, son prochain film animé, est d’ores et déjà annoncée pour Noël 2015.  » Cette idée nous trottait en tête depuis un moment, avec mon scénariste Jérôme Tonnerre. Et après l’expérience du Magasin, on a pensé qu’on devrait la concrétiser en animation. Le producteur étant emballé, on est donc partis pour trois nouvelles années de travail, avec la même équipe. Le pitch tient en une phrase: « Et si la musique n’existait plus… » De là s’enclenche une sorte de film de résistance, avec des gens qui font de la musique en cachette…  »

Leconte est bon

Un plaidoyer en devenir pour la chose musicale qui nous ramène immanquablement au Magasin des suicides, adaptation du roman de Jean Teulé gavée de passages chantés et dansés…  » Faire un film musical, c’était mon rêve depuis toujours. Je voulais de la musique partout. Je crois que sur 1 h 20 de métrage il doit y avoir 1 h 10 de musique. » De quoi orienter le ton d’un film qui, pour s’inscrire dans un contexte urbain, plombé et suicidaire, est avant tout un éloge du rire et de la bonté.  » Je n’aurais jamais pu faire quelque chose de pessimiste. Et si je me suis permis de démarrer le film de manière très noire, dans un humour très corrosif, c’est parce que je savais que je me dirigeais vers une conclusion tout à fait optimiste, contrairement au bouquin de Jean Teulé. S’il fallait dégager un message, entre les lignes, ce serait celui-là: certes, la vie n’est pas drôle tous les jours, mais elle est belle.  »

Le parfait remède anti-crise, en somme. Servi dans une 2D relief proche du principe des livres pop-up. De quoi donner de la profondeur à l’image tout en conservant le côté vivant du dessin recherché par un réalisateur se réclamant, pour le coup, du travail de Blutch.  » J’ai voulu un film hirsute, le contraire d’un film bien peigné donc. Et c’est beaucoup une affaire de rythme, aussi. On ne perd jamais de temps, on ne traîne pas, on essaye de prendre le spectateur de vitesse pour ne jamais se complaire. Voilà, qu’on l’aime ou pas, je dirais que c’est un film qui n’est pas complaisant. On aurait pu s’apitoyer, en faire des tonnes, mais on a préféré suivre cette maxime: « Dépêchons-nous d’en rire, de craindre d’en pleurer. » »

Hirsute, la cadence du sieur Leconte ne l’est pas moins, qui le voit se lancer à corps perdu dans un nouveau long métrage d’animation quand le précédent n’est pas même sorti, ceci alors qu’il s’apprête à tourner, cet automne, un autre film encore, en prises de vue réelles et en anglais celui-là, l’adaptation du Voyage dans le passé de Stefan Zweig.

 » Je suis pris d’une certaine frénésie, c’est un fait. C’est comme ça que j’ai toujours vécu et travaillé. C’est épuisant. Mais je ne peux pas faire autrement. Je sais qu’un jour j’arrêterai vraiment de faire des films, et là au moins ma vie sera calme, mais je ne peux pas lever le pied. C’est comme si je roulais à 200 km/h sur l’autoroute et qu’on venait me dire: il faudrait ralentir un peu. Eh ben non, je ne peux pas, je préfère m’arrêter complètement que ralentir. La demi-mesure m’ennuie. »

RENCONTRE NICOLAS CLÉMENT À PARIS

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