L’EX-TELEX MICHEL MOERS SORT UN TITRE D’ÉLECTRO MÉLANCOLIQUE AINSI QU’UN LIVRE, TEMPORARY ZEN, COLLECTION DE PHOTOS À LA PLASTIQUE DÉCALÉE.

« Ce qui m’intéresse, c’est l’ambiguïté du sujet et de la forme. Artiste? Je fais de l’architecture, de l’art, de la musique, de la photo, je suis homme à tout faire ou peut-être lanceur de confettis. On s’engage parfois dans des choses « pas permises », par ignorance mais aussi par choix. » Dans son atelier du sud de Bruxelles, Michel Moers, veste de gentleman pastoral, toison neige, lunettes noires, disserte à notre demande sur les sillons d’une vie nourrie. Les voyages orientaux sixties y croisent les Sparks et les années de pub triomphantes, des rêves parfois érotiques de faux peintre du dimanche. A 67 ans, le chanteur de Telex est physiquement trop dans la norme apparente que pour l’être véritablement: il lui arrive donc de se faire un selfie photoshoppé en schtroumpf ou, comme sur la couverture de Temporary Zen, de donner à son visage poilu vocation de piste d’atterrissage à une douzaine de guêpes. Marrant? Pas seulement.

Canardiste

« Je suis né en 1947 près de Hannut (province de Liège) dans une famille de la petite bourgeoisie, père bouffeur de curé, grossiste en « denrées coloniales » et mère catholique. Culturellement, c’était un peu vide. J’ai été enfant de choeur jusqu’à l’âge de 13 ans, à une époque où il n’y avait pas encore de moteur aux cloches: quand on les sonnait, on s’envolait de trois mètres. Je me suis senti assez vite comme le vilain canard de cette famille comptant pas mal de militaires: plus tard, j’en mettrai d’ailleurs un faux -de canard- sur la pochette de Looney Tunes de Telex. On n’avait pas la télé, j’allais la voir chez les voisins, c’est comme cela que j’ai découvert le twist (sourire).J’aimais bien le yéyé, Les Chaussettes Noires, mais à 16 ans, en 1963, j’ai fait un séjour linguistique d’un mois en Angleterre, à Nottingham: les Beatles étaient partout. J’appréciais leur musique mais surtout leur esprit, iconoclaste sans être trash. »

Plastique

« Mon premier choc plastique a été en architecture: en 1970, j’ai visité la vallée du Mzab en Algérie. Des villes fortifiées dans le désert, construites dès le Xe siècle. C’était fantastique, tout comme la découverte de la place de Sienne en Italie. Il y a eu aussi d’autres moments importants comme celui où j’ai vu, par hasard, un happening du Living Theatre (1) sur la 5e avenue à New York, en pleine guerre du Vietnam, avec une sono crachant des bruits de mitraillettes. J’ai fait des études d’architecture à La Cambre et mon mémoire traitait de la psychologie de l’espace: je m’intéressais à la matière plastique, imaginant des façades de maison qui l’intègreraient. Etre fonctionnel mais essayer d’autres choses, comme ces architectes américains qui proposaient de construire des supermarchés à moitié enfouis dans le sol. J’ai concrétisé certaines de ces idées avec Telex, dont l’approche était sincère mais distante. D’ailleurs, le titre qui a eu le plus de succès -Moskow Diskow- était aussi le plus enrobé. Telex n’a jamais été dans cette culture de recettes.  »

Aquoiboniste

« Vu le peu de bulles qu’avaient suscité mes deux titres parus en digital l’année dernière, j’avais décidé de me concentrer sur mon karaoké personnel et faire des arrangements simples de chansons que j’avais envie de reprendre. J’avais besoin de travailler avec quelqu’un d’extérieur, parce que j’ai tendance à faire du primesautier, sans doute pour combattre une espèce d’aquoibonisme: à quoi bon faire encore des chansons? Greg Avau (alias Kid Noize, également vu dans Joshua, ndlr) a aimé ma voix et les zones plus sombres de ma musique. Pour Don’t Answer Me (électropop spleen, ndlr), il a retravaillé l’une de mes maquettes et le résultat se trouve dans une compilation qui sort sur son label, Black Gizah Records. Je suis curieux de voir ce que cette démarche plus obscure, formellement intéressante, va provoquer ou pas, même si je n’ai pas la voracité de quelqu’un qui commence. L’industrie du disque a considérablement changé, les moyens aussi: lors de ma période musiques de pub, j’avais enregistré en 1986 un titre pour la BBL, Green With Envy, en maxi vinyle vert, faisant allusion à la couleur de la banque. C’était pressé à 30 000 exemplaires, très vite écoulés: aujourd’hui, un tel score m’amènerait haut dans les charts (sourire). »

Consumériste

« Temporary Zen n’est pas vraiment un bouquin photo, en tant que tel, il ne trouerait pas le cul (sic): la légende a autant d’importance que l’image, c’est une réponse ping à pong. La récompense de faire une bonne photo -cela m’arrive- est d’éviter d’aller consommer quelque chose, histoire de remplir un vide. La plupart des photos du livre sont réalisées sans trucage mais parfois, comme dans cette image d’un parc londonien où j’ai rajouté des formes d’oiseaux et d’animaux, on approche l’idée du ready-made. Ce bouquin est entre le journal de bord, le tarot et le test de Rorschach: j’ai essayé de tenir l’équilibre entre pessimisme et décontraction par un travail de contraste, de renforcement. Cela s’apparente aussi aux textes de Telex où il y avait de la mélancolie accompagnant un fond d’ironie. » Il y a bien sûr de cela dans l’expo consacrée à Moers, qui se termine dans une galerie ixelloise (2) . Notamment dans cette série baptisée Ghosts pour laquelle Michel a récupéré des emballages de produits de consommation plus ou moins courante, dont un gode de taille raisonnable: « En photographiant ces choses que l’on met généralement à la poubelle, les emballages, j’ai eu envie de leur rendre un peu de dignité, en les éclairant par des lumières qui redessinent les contours, comme les fantômes des objets contenus. C’est l’aptitude du plastique à épouser n’importe quelle forme de moule, c’est aussi l’idée de garder une trace… » Celle de Moers fait du bien à l’époque, tiens.

TEMPORARY ZEN, AUX ÉDITIONS DE LA LETTRE VOLÉE.

(1) TROUPE NEW-YORKAISE EXPÉRIMENTALE FONDÉE EN 1947.

(2) À L’ARTITUDE GALLERY À BRUXELLES JUSQU’AU 24 JANVIER, WWW.ARTITUDE.BE

RENCONTRE ET PHOTO Philippe Cornet

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