Piètre pièce

© Fondation Boghossian Lola Pertsowsky

Souhaitant restituer l’effervescence des années 30, Flamboyant, la nouvelle exposition de la Villa Empain, attire un large public mais déçoit le rêveur.

Quel difficile exercice que celui de concilier fréquentation et qualité de la découverte. Jusqu’ici, la Villa Empain avait misé sur une certaine exigence quant à ses propositions. Peut-être (trop) pointues au départ, celles-ci semblent avoir désormais fait le choix du consensus. Est-ce grave? Pas le moins du monde. Est-ce mauvais? Certainement pas. Il ne nous appartient pas de jeter la pierre: on peut comprendre que l’équipe en place éprouve le besoin -la nécessité?- de vouloir s’adresser à une audience élargie. En revanche, en tant que fidèle de l’endroit, on est en droit de regretter l’intimité perdue des accrochages précédents ainsi que la pertinence envolée du sous-texte. Ce sont désormais des hordes de visiteurs qui prennent la villa d’assaut. On n’avait jamais assisté à cela, entre badauds armés -le mot n’est pas trop fort- de selfie-sticks et néo-conquérants qui s’offrent un tour du propriétaire dominical en se souciant peu de l’endroit où ils mettent les pieds (on pense à cette peau de tigre piétinée dans le fumoir malgré un trait rouge censé être dissuasif).

Malentendu

 » Quand je vois la taille du hall d’entrée« ,  » ça doit coûter une prune tout ça« … Telles sont les expressions qui résonnent aux quatre coins du chef-d’oeuvre Art déco. Le malentendu est total, il est question d’une mauvaise pièce de théâtre sociologique -on vient ici pour s’imprégner d’une dominance perçue désormais comme inoffensive- qui multiplie les effets de mise en scène et les portes qui claquent. Le cocu de service? Probablement le rêveur, qui constate qu’il n’est pas question d’imaginer sa visite mais de prendre des mesures, si ce n’est… une revanche. L’amateur véritable, aussi, qui désire autre chose qu’une leçon d’art de vivre nostalgique d’une époque que l’on regrette d’autant plus que ses valeurs -la vitesse, la machine, le divertissement…- tintent de façon coupable à l’oreille des contemporains. Trompé se sentira également celui qui tient en haute estime la mission de la Fondation Boghossian -pour rappel, promouvoir le lien entre Orient et Occident. Elle se décline ici sous sa forme la plus ténue, c’est-à-dire à travers motifs décoratifs et emprunts plastiques pompés à l’Afrique, la Chine, l’Asie et le Moyen-Orient. Les multiples objets -bijoux, mobilier, jouets, vaisselle…- qui ponctuent la Villa Empain nous ont laissé de marbre. On n’est jamais vraiment entré dans  » les salons d’un intérieur d’un collectionneur passionné d’art de son époque« , comme le stipule le guide du visiteur. Du rez-de-chaussée au dressing en passant par le boudoir, cette mise en scène nous a tenu à distance, nous rappelant à chaque instant ce qu’elle était, un artifice. Idem pour la salle didactique, qui explique les mouvements des années 20 et 30 en quelques phrases bien senties. Seuls les toiles, les dessins et les autres affiches tirent leur épingle du lieu. Ainsi dans le fumoir, cette Femme debout dans le jardin de Kees van Dongen, restituant la fascination pour l’Égypte du Néerlandais. Sensuelle, voire érotique, la composition laisse entrevoir des yeux lascifs qui happent le regardeur… capable de les accrocher. Une oeuvre vaporeuse de Frans van Holder arrête net quiconque monte à l’étage en voyant… plus loin que le bout de son smartphone. Autre temps fort contemplatif, ce Batelier signé par Anto Carte. Le regard perdu dans le vide du marin se détourne du public, lui préférant un salutaire au-delà de la toile qui n’est accessible qu’à ceux qui ont le songe pour patrie.

Flamboyant

Villa Empain, 67 avenue Franklin Roosevelt, à 1050 Bruxelles. Jusqu’au 24/08.

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