À L’APPROCHE DU LANCEMENT DE SOCIETY, LE TOUT NOUVEAU MAGAZINE GÉNÉRALISTE DE LA GALAXIE SO PRESS, FRANCK ANNESE, L’EMBLÉMATIQUE PATRON DU GROUPE, NOUS PARLE DE SA PHILOSOPHIE.

Franck Annese, c’est d’abord un look. Pull en laine brun, copyright François Morel période Deschiens. Barbe hipsteuse qui allonge le visage. Et puis cette casquette blanche et noire, dont les petites soeurs s’empilent sur le foutoir à papier qui lui sert de bureau. Bienvenue chez So Press, open space parisien où l’on respire le cool, les jeunes journalistes rigolards et l’avenir de la profession. La voix douce et traînante, Annese, 37 ans, dit plus souvent « on » que « je ». Mais il règne en jeune patron de presse sur une brochette de magazines différents. Différents, déjà, parce qu’ils se vendent (bien). Différents, parce qu’ils abordent le journalisme par un versant quasi inexploré, celui de ces drôles d’histoires d’Hommes, longues et improbables, mijotées dans les amusantes casseroles des plumes locales, adeptes du long cours à l’heure où tout le monde fait le plus serré possible. Et on en redemande. So Foot, So Film, Pédale! et les autres sont autant d’ovnis dans le paysage actuel de la presse papier. Le 6 mars, Society, le nouveau bébé du groupe, sortira enfin de la matrice. Tour d’horizon avec le boss, touche-à-tout pileux sorti d’une école de commerce.

Lancer un magazine comme Society, alors que la presse papier semble moribonde, ce n’est pas risqué?

Moi, que la presse aille mal, que les autres magazines aillent mal, ça m’attriste. Mais on n’est pas les autres magazines. So Foot marche bien, nos autres titres se développent, il n’y a pas de signaux qui nous disent de ne pas y aller. Apparemment, ce qu’on raconte plaît aux gens. On a toujours fait de l’artisanat et du fanzinat. Petit à petit, on a mis de l’argent de côté. Maintenant, on en a suffisamment pour le dépenser. Je ne voulais pas lancer un magazine incognito, avec la logique du « on n’a pas d’argent, pas grave: on va le lancer comme ça et le bouche-à-oreille fonctionnera », comme on l’a fait avec nos autres titres. Ça peut marcher dans une niche. Mais là, avec Society, tu arrives sur un secteur ou tu n’as que des gros en face: les concurrents n’ont pas forcément prévu que tu arrives, s’ils peuvent te foutre par terre, ils le feront, tu as intérêt à être un peu costaud. L’objectif, c’est 60 000 exemplaires en kiosques.

Tu seras rédac’chef à l’ancienne dans Society, comme tu l’étais jusqu’il y a peu dans So Foot. Ça te manquait déjà?

Non, parce que je n’ai arrêté qu’en septembre dernier. Mais j’étais moins bon sur So Foot qu’il y a quelques années. On est humain: à un moment donné, on tombe dans des pièges de routine, de facilité, on ne stresse plus pour certains choses alors que c’est parfois utile… Bref, on se remet moins en cause. Quand tu as dirigé pendant dix ans un magazine, c’est bien de le laisser à d’autres gens, qui vont apporter un nouveau regard. Je ne relis plus les papiers de So Foot ou So Film depuis septembre, ou alors vite fait le sujet de couv’. Je n’ai pas la science infuse, ce n’est pas parce que c’est relu par moi que ce sera meilleur que si c’est relu par des mecs qui sont là depuis dix ans.

Tu parles souvent, pour définir l’ADN de vos titres, des trois H: « Humain, Histoire, Humour ». Quelle est la place de l’humour dans tes magazines, toi qui as écrit pour Le Grand Journal ou pour des gens comme Thomas N’Gijol?

On écrit pour des mecs, mais pas leurs spectacles. Pour Thomas, par exemple, on est plus consultants qu’auteurs. Je ne m’enferme pas dans une pièce pour écrire des blagues. Je ne me le souhaite pas. Et je ne dis pas aux gars: « Il faut absolument mettre de l’humour dans les papiers. » Simplement, des fois, on trouve que c’est judicieux d’adopter une certaine distance. Et comme on ne sauve pas le monde, on ne se prend pas au sérieux, on raconte juste des histoires, ça nous fait marrer. C’est une positon rigolote et absurde, quelque part, de pouvoir se dire: « Super, on a envie de raconter des choses que les gens ne racontent pas forcément, on se réunit et il se trouve que ça marche. » On sent l’ironie du truc, même si on ne se moque pas de ceux qui le font sérieusement.

Ça transparaît dans l’ambiance de vos bureaux… Le premier décalage se trouve à ce niveau.

Oui, mais c’est naturel en fait, ce n’est pas forcé.

Ce n’est pas une sorte de figure imposée de la branchitude?

On n’est clairement pas branchés: t’as vu les gueules qu’on a…?! On ne sort pas. En fait, on bosse beaucoup. On est assez exigeants et travailleurs, c’est ça qui nous réunit. Après, c’est une ambiance bizarre, on se fait des boucles de mails, des chats pour un oui pour un non, on s’envoie des vannes, on se moque. On bosse beaucoup, mais sans avoir l’impression de travailler.

Ça paraît simple, présenté comme ça…

Simple, mais on se met quand même la pression pour que les magazines soient de mieux en mieux, pour trouver des sujets « incroyables ».

Où en sont les ventes?

Ça progresse. De façon constante. Mais un jour ça se cassera la gueule. On colle un peu à une époque. Après, on essaye d’être malins et de ne justement pas avoir des journalistes qui restent 25 ans à la tête du truc et qui ne veulent pas en décoller. Peut-être que ça nous permettra de prolonger notre durée de vie, parce que cette philosophie apportera toujours un peu de fraîcheur et de remise en cause. Mais à un moment donné, on ne correspondra plus à l’époque. Et on mourra ce jour-là, on n’intéressera plus que des vieux. C’est le lot de tous les magazines: tu meurs et ce n’est pas grave. C’est pour ça qu’on est un peu dans l’urgence, on sait qu’on a une chance énorme.

Est-ce qu’il y a une limite à « l’esprit SO »? Est-ce que tu pourrais faire So Chasse, So Alpinisme?

Je n’ai pas de limite précise. Il y a des trucs que je refuse de faire quand on nous sollicite, pour des émissions de télé, de radio ou pour des projets de magazine. Ça arrive régulièrement. Mais je ne refuse pas systématiquement, SO Film et Doolittle se sont créés comme ça. Ca dépend des moments.

Est-ce qu’il y a chez vous l’ambition de capter les tendances de l’époque?

Pas forcément. Quand on le fait, c’est malgré nous. On va davantage raconter une histoire qui va dire quelque chose sur notre époque. On n’est pas un magazine de sociologues, on n’est pas dans cette post-rationalisation.

On vous accole parfois cette étiquette parisianiste…

On vient de milieux très différents et plutôt de province. C’est très hétéroclite. Mais quand ton magazine a un peu meilleure gueule que les autres, on te taxe de parisien… Souvent, ce qu’on reproche au parisianisme, c’est de dire aux gens comment penser, ce qu’il faut voir, lire et écouter. Nous, on n’est pas là-dedans. Il y a peu de critiques dans So Film, et c’est rarement sur le mode « c’est bien, c’est pas bien ». Je n’aime pas cet aspect-là. On l’a beaucoup fait avec Sofa (le premier magazine de Franck Annese, ndlr), quand on avait 20 ans, qu’on formait nos esprits et qu’on essayait d’affirmer nos goûts. Mais nous ça nous a vite emmerdés de donner notre avis sur tout et de penser que notre jugement valait quelque chose. Ce n’est pas notre truc, on n’est pas tellement dans l’ego.

Est-ce que justement cette posture de l’ego en-deçà, de l’humilité, du retrait, ce n’est pas le nouveau cool?

Je ne sais pas. Non, parce qu’il y a des mecs qui se mettent vachement en avant et qui cartonnent. Le rap français n’a jamais aussi bien marché, et fait dans la revendication égotiste. Nous, on est des enfants des années 90. On a grandi dans ces années un peu lose. La chanson emblématique de ces années-là, c’est le Loser de Beck. On est dans ce truc de slackers, de gens qui font ce qui leur plaît mais qui n’attendent pas grand-chose en retour. Si ça plaît, ça plaît, sinon tant pis. Et paradoxalement ça ne nous empêche pas d’être ultra exigeants, autocritiques et insatisfaits par ailleurs. C’est très rare qu’on se dise: « Ce numéro de So Foot est super!« On est rarement contents de nous.

Comment tu vois l’avenir? Quel est ton eldorado professionnel?

J’ai sans doute fait bien plus de trucs que ce que je n’aurais imaginé. Je suis à la fois très ambitieux et sans ambition. Society, je veux que ce soit le meilleur magazine du monde, je mets la pression sur les gars, parce que je n’aime pas décevoir les gens. C’est pareil avec So Foot. C’est le mot d’ordre: on ne déçoit pas.

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