Quittant les habits de chef-opérateur pour ceux de réalisateur, il signe, avec Le jour où dieu est parti en voyage, une ouvre épurée et tendue qui évoque la mémoire du génocide rwandais.

« Ce film, c’est quelque chose qui m’a pris plutôt qu’un choix.  » A peine s’est-on attablé que Philippe Van Leeuw, cinéaste belge affichant la cinquantaine posée, entre dans le vif du sujet, revenant sur les circonstances particulières qui l’ont conduit à tourner Le Jour où dieu est parti en voyage ( critique en page 31), un film viscéral évoquant la mémoire du génocide rwandais de 1994. « Pendant longtemps, je me suis débattu avec les images que j’avais vues à la télévision, mais aussi avec le témoignage de gens que j’ai connus à leur retour de Kigali. Ils avaient été évacués aux premiers jours du génocide, et la seule chose qu’ils avaient pu faire pour aider la jeune femme qui s’occupait de leurs enfants, c’était la cacher dans le plafond de leur maison. Je n’ai pu me débarrasser de cette image, et je suis resté des années sans savoir quoi faire, avec un sentiment d’impuissance par rapport à l’acuité du génocide, jusqu’au jour où mon franc est tombé: cette femme, je me suis dit qu’il y avait probablement moyen de lui imaginer un parcours. »

Aller à l’essentiel

A son côté, le spectateur embarque pour un voyage au bout de la nuit rwandaise, envisagée à travers l’errance muette d’une victime de la tragédie. « Le film entrouvre une fenêtre sur des choses qui se racontent peu ou pas du tout, à savoir ce qu’ont enduré les survivants », explique Philippe Van Leeuw. Une épreuve qu’il n’a jamais envisagé d’aborder autrement que par l’entremise de la fiction – « le documentaire nous amène à la compréhension, et le cinéma de fiction dans le ressenti et l’émotion, et c’est ce que je voulais. » Non sans opter pour un dépouillement extrême, signant un film de peu de mots, et laissant la violence physique hors-champ, tout en se faisant, à travers ce drame personnel, l’écho d’une réalité collective pas moins terrifiante pour autant. « J’étais assez pudique pour 2 raisons un peu opposées: d’une part, parce que j’avais le sens du respect des victimes et de la dignité de ces gens. Et d’autre part, parce que je ne suis pas convaincu que l’image apporte grand-chose lorsqu’on est dans la reconstitution. L’image est réductrice, alors que le son, à l’inverse, fait appel à des sensations plus immédiates et plus inconscientes qui permettent d’aller plus loin. »

Fort de cette conviction, mais encore de celle que le cinéma a un devoir particulier de mémoire, Van Leeuw fait £uvre épurée et d’une rare acuité. Sans estimer, pour autant, en avoir fini avec la tragédie rwandaise: « Une de mes lignes de conduite a été le travail de Jean Hatzfeld, qui s’est refusé à considérer les victimes et les tueurs dans un même ouvrage. J’ai fait un film sur la victime, et ma question sur le tueur reste entière. » Façon aussi de ne pas se détourner de l’essentiel, suivant un précepte que cet ancien chef-opérateur appliquait déjà à son travail sur l’image, que l’on a pu apprécier chez Bruno Dumont ou Claire Simon. Le fruit de l’enseignement précieux de Sven Nykvist, légendaire collaborateur de Bergman et certains Allen, dont il fut l’élève à l’American Film Institute de Los Angeles, au sortir d’une expérience malheureuse à l’Insas. « C’était déconcertant, parce que d’une simplicité enfantine. Avec Nykvist, c’était le retour à l’essentiel, et j’ai toujours travaillé en ce sens… » l

Jean-François Pluijgers

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