Michel Verlinden
Michel Verlinden Journaliste

PIONNIER ITALIEN DU RENOUVEAU DE LA PHOTOGRAPHIE DU TERRITOIRE, GUIDO GUIDI TRAQUE LE BEAU JUSQUE DANS LE CANIVEAU.

Col tempo

GUIDO GUIDI, FONDATION A STICHTING, 304 AVENUE VAN VOLXEM, À 1190 BRUXELLES. JUSQU’AU 11/12.

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Col tempo. « Avec le temps », en version française. Tel est le titre de la formidable exposition que la fondation A Stichting consacre à Guido Guidi, figure majeure de la photographie contemporaine italienne, hélas pas assez connue sous nos latitudes. Pour éviter les déconvenues, on signalera en guise d’avertissement que l’oeuvre de ce natif de Cesena (1941) n’a rien de spectaculaire. Amateurs de couleurs tapageuses et de formats monumentaux, merci de passer votre chemin car ici les dimensions sont modestes et les couleurs, quand il y en a, se révèlent passées. Cela d’autant plus que l’homme est réputé pour son travail paysager très souvent réalisé au moyen d’une chambre photographique. Là aussi, gare: l’équation « paysages + Italie » pouvant elle aussi générer son lot de confusions. Si l’on s’attend aux cartes postales façon ruines romaines ou collines toscanes, la déception risque d’être grande, l’oeil pourrait tomber de haut. Dans l’objectif de Guidi, la périphérie détrône le centre, la façade banale l’emporte sur le pignon ouvragé, le rebut importe plus que le début. Le photographe savoure les territoires déclassés et les zones périurbaines délaissées. Comme le titre l’indique, il accorde une importance toute particulière au passage du temps. Cette attention se marque à travers un travail dominé par la séquence et la répétition. Raison pour laquelle la concentration tout entière du spectateur est requise. Guido Guidi nous ramène à ce que nous ne voyons plus du paysage, à l’impensé de notre environnement. Autre ligne de force du travail de l’Italien, la quasi-absence de l’être humain parmi les quelque 150 images exposées. Une petite fille, un vieillard, une femme à la beauté sensuelle… Les exceptions sont rares, fragiles, le portrait a chez lui des allures d’accident pelliculaire.

Poétique du mur

« Insister sur la marge, et même la photographie a une marge, cela signifie porter un regard plus large sur les choses, sans préjugés« : tels sont les mots que le photographe utilise pour caractériser sa démarche périphérique. Pour lui, tout mérite d’être photographié, sans distinction aucune. Parmi les séquences qui marquent, il y a Preganziol (1983), soit quatre images montrant, de façon frontale, un intérieur décati. Dans le coin gauche inférieur, un trapèze de lumière imprime le mur. Au fil des clichés, apparaît puis disparaît l’ombre du tronc d’un arbre. C’est de cette façon, fidèle à la vie, que passe le temps chez Guidi, c’est-à-dire imperceptiblement et inexorablement. Difficile de ne pas céder à la nostalgie, cette douleur de l’origine. Plus loin, quelques gouttelettes d’eau maculent l’une des vitres arrière d’une voiture. L’ombre de Saul Leiter plane sur l’image. Plus certainement que n’importe quel essai, cette photographie raconte l’ennui et la nausée des jours sans soleil, en les sublimant. Ailleurs, c’est une nature morte postindustrielle dans laquelle une burette d’huile rouge dialogue avec une armoire métallique sur laquelle est apposée une oreille. Guido Guidi n’hésite pas à zoomer sur un caniveau, architecture des bas-fonds aussi minuscule qu’indésirable, qui se rappelle au bon souvenir du regard. Et frappe par sa beauté.

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MICHEL VERLINDEN

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