MYSTIQUE DE L’INCOGNITO ET DE L’ABSOLU, GÉRARD MANSET OBLIGE SES CHANSONS ET SES IMAGES À FUIR LA LAIDEUR DU MONDE. L’EXPOSITION BRUXELLOISE DE SES PEINTURES RÉITÈRE UN CLASSICISME FANTASMÉ.

« Peindre est comme réaliser un portrait permanent, comme un kata en karaté. Chez Balthus ou Giacometti, on sent une urgence, une homogénéité, une obligation de choix anatomique. La peinture, comme la musique, utilise les matériaux et les surimpressions mais cette peinture qui ne parle pas, c’est elle qui explique le mieux ce que j’ai fait. Cette pulsion, cette éjaculation graphique, cette précision académique, c’est ce qu’il n’y a pas de visible dans la musique. » Manset s’arrête, respire et rajoute dans un demi-sourire:  » Tout cela est très fumeux, non? » A Bruxelles pour parler de la soixantaine de ses toiles exposées au Grand Sablon, Manset ressemble à ses huiles, acryliques, mines de plomb et lavis qui garnissent les trois étages clairs de la galerie (1): tout en strates -parfois antinomiques- comme ses photos rehaussées de peinture et son autoportrait brouillé évoquant un Gauguin sous mescaline. Sinon, le dessin prédomine les compositions, des tracés de femmes, des esquisses de visages, des contours qui, parfois aussi, s’emplissent de couleurs chaudes et de jeux cubistes faisant monter le sang à la tête.  » Ce n’est pas de l’imaginaire, on est dans le classique, comme en littérature où je cite Balzac, Balzac et encore Balzac: je suis habité par la filiation de Ingres ou de Corot, pas par le toc du XXe siècle. » Les références de Manset fuient le contemporain, citent Beethoven (1770-1827) ou les déjà nommés Corot (1796-1875) et Ingres (1780-1867).  » Ma mère me lisait Leconte de Lisle (poète français du XIXe, ndlr) , elle était violoniste, ma tante pianiste, j’ai été baigné par la beauté et tout mon travail, en musique ou ailleurs, consiste à être conforme à ces premières sensations de l’enfance. J’ai eu l’occasion de mettre le pied de l’autre côté du miroir, dans un univers où d’autres n’iront jamais. »

Outil du démon

Composite, Manset l’est, chargé de paradoxes louvoyant sans cesse entre absolutisme et camaraderie, prétention (française?) et mise en abîme sincère de son travail. Le type qui va chercher votre café au bar de l’hôtel, jeans, chaussures de sport, chemise bûcheron, est né il y a 67 ans près de Paris dans une famille  » bourgeoise conventionnelle« , père ingénieur et frère  » brillant » futur polytechnicien. Le jeune Gérard, qui rate son bac à cause d’une sous-note en français (…), puise dans le parc voisin de Saint-Cloud les fantasmes de prochains voyages « exotisants », même si ce terme, on s’en doute, est hors de son propos. Le dessin -étudié dans une Ecole supérieure parisienne- incarne son premier combat, ses gravures initiales étant accueillies en 1966 au Salon d’automne. Le désintérêt pour son travail de la part des agences de pub -on est en pleine gloire Publicis- dévie sa trajectoire initiale vers la musique: en mai 1968, il sort un premier 45 Tours autoproduit, Animal on est mal, qui suscite l’intérêt critique à défaut du frisson des charts… On découvre Manset sept ans plus tard via un tube, grand et solaire en dépit de sa mélancolie viscérale, Il voyage en solitaire. Les fans, comme votre scribe, voient alors à la télévision française ce qui sera pratiquement son dernier passage pixellisé. Notamment en octobre 1975, dans le Midi Première de Danièle Gilbert, archi populaire sur TF1 (…) (2). On peine à croire que Manset, portant alors tous les attributs du bobo Saint-Germain-des-Prés -même si sa chanson ne l’est pas-, est le même mec que celui nous faisant face en ce mois d’octobre 2012. On parle moins du processus orthodoxe de vieillissement -il ne s’en tire pas trop mal- que de sa défiance, 37 ans et une vingtaine d’albums plus tard, de tout ce qui pourrait évoquer sa représentation, de manière non contrôlée. Il y a quelques mois, de passage en radio RTBF, il menace de quitter les lieux si on n’aveugle pas les caméras de studio chargées de relayer l’émission sur le Net, déclinant d’emblée toute photo lors de sa venue à Bruxelles. » Il y a un peu cette idée que l’image vole l’âme en effet, mais surtout, pour moi, une caméra a quelque chose de l’outil du démon (sic) . C’est le privilège de l’artiste que d’arrêter cela et de le faire à sa mesure. La photo actuelle est devenue socialo-politico-imbitable. »

Petit pois

Manset, dans notre conversation de plus d’une heure, se dit davantage  » passeur de plats qu’inventeur« . Si en Asie -au Cambodge en particulier- et en Amérique latine, il a  » été touché par une certaine grâce, une espèce d’universalité de la beauté« , si ces régions du monde noyautent une partie des images exposées à Bruxelles, Manset ne supporte plus le  » réalisme répugnant, les reportages abjects« . Entendez, la misère photographiée sous perfusion tropicale.  » Je ne voyage plus depuis cinq ou six ans, mais je vais peut-être repartir, moins loin. Je me sens dans une sorte de bulle qui fait que je ne peux voir que ce qui est beau. Ma transmission du monde est biaisée et je l’ai choisie. » Quand on lui demande pourquoi il  » multiplie les autoroutes » -musique, peinture, photos, une dizaine de livres illustrés ou non-, il répond en soulignant avec enthousiasme la pertinence de la métaphore routière, pourtant rien de plus qu’une… image.  » La peinture, ce n’est pas comme écrire une chanson ou un livre, il faut s’immerger dedans, ressortir les chevalets, se coltiner les vendeurs de couleurs et tout réapprendre. Un atelier n’est pas une chose itinérante. » Drôle de loustic élastique, le Manset?  » Je suis un paradoxe… Vous connaissez l’histoire de la princesse au petit pois qui ne peut pas s’endormir parce qu’en dessous de sa pile d’oreillers, se trouve un seul petit pois? C’est moi. La vie est faite de 100 000 paramètres, il faudrait qu’ils soient tous bons. » Un nouvel album de Manset, signé chez Warner, pourrait paraître dans les prochains mois. Ses paramètres demeurent à ce jour inconnus de nos services. l

(1) GALERIE PETITS PAPIERS JUSQU’AU 04/11, WWW.PETITSPAPIERS.BE

(2) À REGARDER SUR YOUTUBE.

RENCONTRE PHILIPPE CORNET

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