ILS ONT TOUT POUR ÊTRE HEUREUX ET SE PRENNENT POURTANT LES PIEDS DANS LE TAPIS. EN TREIZE NOUVELLES, TOM BARBASH AUSCULTE LE CoeUR FROISSÉ DES HOMMES.

Les Lumières de Central Park

DE TOM BARBASH, ÉDITIONS ALBIN MICHEL, TRADUIT DE L’ANGLAIS (USA) PAR HÉLÈNE FOURNIER, 260 PAGES.

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Les êtres qui peuplent les treize histoires de ce recueil placé sous baxter des grands nouvellistes américains, de John Cheever à Raymond Carver, semblent tous condamnés à la solitude, dans leur couple pour les uns, dans le cercle familial pour les autres. Comme si un grain de sable s’était glissé dans la mécanique des coeurs pour en enrayer définitivement la mélodie et rendre ces pères, mères, enfants et amants inaptes au bonheur, à la fois si proche et si lointain.

Dans La Rupture qui ouvre le bal des rancoeurs et des déceptions, une intellectuelle new-yorkaise divorcée va s’employer jusqu’au ridicule à briser la relation que son fils de 19 ans, promis à un bel avenir, entretient avec une hôtesse de restaurant, trop pulpeuse, trop âgée, trop intéressée à son goût. Un gâchis dont elle prend la mesure dans un moment de lucidité, consciente d’avoir sans doute perdu l’affection de son fils dans l’aventure.

Le triangle est une forme géométrique récurrente et problématique dans la plupart de ces tranches de vie saisies à feu vif. A l’image de cet ado coincé entre une mère et un beau-père irresponsable, et forcé d’accompagner les tourtereaux démonstratifs dans une chevauchée en 4×4 qui finira dans le fossé, métaphore du naufrage de cet attelage mal recomposé.

Melancholia

Observateur attentif des microséismes émotionnels qui fissurent la cuve des sentiments, Tom Barbash trouve les mots justes pour dire la difficulté de se réaliser sans trébucher. Un regard empathique qui se teinte de mélancolie fitzgéraldienne quand il se glisse dans la peau d’un jeune adulte de bonne famille agacé par la joie de vivre et les conquêtes féminines de son père. Les rôles sont inversés: Andrew fait pénitence alors que le paternel agit comme un gamin libidineux. De quoi provoquer des étincelles alors qu’au fond chacun tente de surmonter une blessure commune: le décès de la mère.

Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les maladies et les accidents sont si fréquents dans ces pages élégantes. Ils brouillent les cartes et font tomber les masques. La conductrice légèrement paumée qui renverse une adolescente et l’emmène aux urgences dans L’Anniversaire se tape ainsi une solide crise existentielle qui va lui remettre les idées en place. Il est ici beaucoup question de liens défaits et de blessures narcissiques. A l’image de ce prof de tennis qui pète les plombs quand son protégé tombe entre les mains de… Pete Sampras.

Des naufragés qui semblent mus par une force extérieure et indépendante, tels des somnambules de leur propre existence assistant, impuissants, à leur chute. Dans le bien-nommé Spectateur, un homme mûr sort avec une fille beaucoup plus jeune et ne tarde pas à l’étouffer de sa jalousie et de sa possessivité. Incapable de refreiner ses pulsions, il choisit de se saborder un soir au volant. « J’éteins mes phares, j’accélère et je me dis: voilà ce que l’on ressent quand on a tout perdu. » Parfois le chagrin ne suffit pas…

LAURENT RAPHAËL

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