Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Weller en éruption – Quelque part entre « Stockhausen et The Small Faces », Paul Weller construit un disque assoiffé de sons nouveaux et de chansons boulimiques. Cinglant.

« Wake Up The Nation »

Distribué par V2.

Ah cette hargne, cette pugnacité, ces gestes d’impatience, cette voracité! Trente-trois ans après ses débuts en jeune homme électrique au sein de Jam, Weller produit son album le plus exigeant et le plus frondeur. Pour ceux qui en sont restés à l’image mod du quinqua de Woking, ce disque agira comme une claque. Post-moderne. Après un précédent disque déjà trempé dans le bain expérimental ( 22 Dreams), Weller s’est installé dans son studio du Surrey en trio avec son collaborateur Simon Dine et un ingé son, Charles Rees. Au programme: créer un album  » urbain et dur, qui sonnerait d’une façon quasi métallique (…) pour refléter l’urgence et la claustrophobie de la vie en ville. » Certains morceaux sont écrits en studio, certains vocaux sont improvisés alors qu’une poignée de musiciens invités défilent: parmi eux, Kevin Shields de My Bloody Valentine et Bev Bevan des légendaires Move (et puis d’Electric Light Orchestra). Entre l’épanchement noisy du premier et le classicisme anglais du second se profile un travail à tête chercheuse, déclinée en 2 options majeures: les morceaux sont férocement courts (à une ou deux exceptions près) et ils quittent toute linéarité pop habituelle, délaissant aussi l’acoustique wellerienne (cf. Wild Wood) pour un magma jusqu’au-boutiste.

Mission accomplie

Si les notes de pochette citent Stockhausen, elles nomment aussi -de manière plus appropriée- Bowie et ses concassements sonores entre Diamond Dogs et Low. Les interventions au piano sur Fast Car/Slow Traffic et 7&3 Is The Strikers Name rappellent effectivement le brillant travail dissonant de Mike Garson, claviériste historique de La Dame. Non seulement tous les titres s’enchaînent sans rémission, 16 en 40 minutes, mais certains, comme Trees, semblent eux-mêmes construits de plusieurs épisodes. Dans cette chanson dédiée aux derniers moments de son père en maison de retraite, Weller glisse d’un ragtime presque standard à une néo-polka british avant d’enfoncer la porte d’un électro-punk hérétique, d’évoquer de brèves lumières psychés et de terminer sur les caresses d’un air gospel esseulé. Sur papier, cela ressemble évidemment à un foutoir sans tête, mais en réalité, cela fonctionne presque toujours. Certains moments sont plus fulgurants que d’autres: Andromeda est un mid-tempo glorieux, Find The Torch, Burn The Plans, un mélancolique tube en puissance, Whatever Next, un Neu!/Kraftwerk qui serait né anglais… Tout cela est soutenu par des paroles clairement engagées, furibardes même, où Weller s’emporte contre la poudre aux yeux généralisée, le consumérisme sans fin et le manque de sens dans lesquels medias, musiques et politique de son pays, s’engouffrent de vulgaire façon. En cela, le modfather fait une £uvre d’importance: donner à la musique un espace qui ne se contente pas seulement de son, de pose ou de gestion ludique. Mission, clairement, accomplie. l

En concert le 17 mai à l’ Ancienne Belgique.

www.paulweller.com

Philippe Cornet

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