Passeport

Noelle Q. de Jesus est philippine, née aux États-Unis et résidant à Singapour, et cette triangulation d’identités crée dans sa littérature un décentrement, une friction. Le recueil, poignant et sans esbroufe, comporte une vingtaine de nouvelles avec en filigrane chez les protagonistes (le plus souvent des femmes) l’envie flottante de se sentir chez soi dans sa famille, son couple, mais aussi dans un pays d’exil où une forme d’aliénation surnage. Dans Passeport, micro-nouvelle titre, l’écartèlement des mondes en présence est flagrant: une bonne philippine travaillant pour une famille de Singapour vient de subtiliser le passeport d’une amie de ses employeurs. Le texte, sous forme d’adresse, laisse transparaître que toutes deux sont mères, mais que celle qui vient de commettre le larcin n’a que ce moyen illégal pour espérer retrouver ses enfants. Dans Froid, Katrina se demande dans quelle mesure le coeur est un muscle qui s’adapte: elle vient d’emménager dans le Midwest, et la sensation d’être gelée de l’intérieur vient jusqu’à empiéter sur ses deux langues, l’empêchant de renvoyer une insulte à un étudiant insolent. L’autrice capte à merveille les gestes ordinaires et les révoltes à bas bruit et sous l’ambiance de prime abord douce jaillissent souvent des traces d’inconfort ou de mélancolie.

De Noelle Q. de Jesus, éditions do, traduit de l’anglais (Philippines/Singapour) par Patricia Houéfa Grange, 304 pages.

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