Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

SEPT ANS APRÈS SON DERNIER ALBUM, L’ESTHÈTE HOUSE SORT UNE GROSSE GALETTE REVÊCHE, BOURRÉE JUSQU’À L’OS D’UN GROOVE RACÉ. « PARRISH SERA TOUJOURS PARRISH »…

Theo Parrish

« American Intelligence »

DISTRIBUÉ PAR SOUND SIGNATURE.

8

Une pochette en dit parfois davantage qu’un long discours. Pour le visuel de son nouvel album, Theo Parrish s’est contenté d’un portrait noir et blanc. Sous la casquette, le visage à moitié caché, l’artiste a le regard ombrageux, le sourcil concerné, l’expression sérieuse. Prétentieuse? Evidemment. Et s’il en fallait encore une preuve, il suffit de se pencher sur le titre du disque: American intelligence. Rien que ça. Voilà pour le côté face. Côté pile, le cliché est toutefois un peu différent. Parrish abandonne la pose figée, renversant la tête en arrière, les yeux clos et la bouche grande ouverte. Plusieurs hypothèses: il bâille? rit? éternue? A moins encore qu’il ne soit en train de se transformer en âne, comme le personnage de Crapule dans Pinocchio. American Intelligence, qu’il disait. Dans tous les cas, Parrish se moque. De lui. Et peut-être bien de nous…

Marmite house

L’ironie, souvent mordante, est une pratique courante chez Theo Parrish. Une forme de lucidité pour celui qui s’est taillé une réputation d’esthète underground et intransigeant. Né en 1972 à Washington DC, il a grandi à Chicago. C’est là qu’il tombe dans la marmite house, via les classiques Farley Jackmaster Funk, Lil Louis… Plus tard, il étudie la peinture et la sculpture au Kansas City Art Institute. Mais c’est bien dans le son qu’il retombe. Quand il s’installe à Detroit, il est ainsi rapidement associé à la « troisième vague » techno. Celle qui commence à mixer les bases funk électroniques et futuristes avec des éléments piochés dans les autres musiques « black » américaines: la house, la disco, ou carrément le jazz (en 2013, Parrish sortait par exemple une compilation consacrée au label Black Jazz Records).

Premier album en sept ans, American Intelligence part encore et toujours de ce même principe. Il se veut important, et du point de vue de ses « dimensions » au moins, il l’est. Réduit à trois LP, la version CD de l’album comprend pas moins de quinze titres, dont un bon tiers tourne autour des dix minutes. La plupart se déploient donc lentement, à l’image de Drive, titre d’ouverture drogué qui trace la route, une caisse claire toute cabossée l’empêchant de tourner en rond. A l’inverse, Fallen Funk est un genre de broken house jazzy, sombre et entêtant. Plus loin, Make No War délivre son mantra –« When we go a dance, we no make no war »-, obsédant, hypnotique. Politique? À cet égard, Thug Irony l’est probablement encore davantage: « What makes you think this country has changed? », rumine l’ours Parrish, indiquant une bonne fois pour toutes que le titre de son album n’est pas à prendre au premier degré.

Tout ici n’est cependant pas que grognement misanthrope et dérision désabusée. Be In Yo Self est une sorte de ballade bouillonnante, pulsant sous les cymbales et la voix de la chanteuse Ideeyah qui répète ad lib « being yourself shouldn’t have a downside ». C’est l’un des temps forts d’un disque qui n’en manque pas. De longueurs non plus, certes. Mais sans que cela ne remette en cause l’intérêt et la pertinence de la proposition.

LAURENT HOEBRECHTS

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