Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

PLUS DE 40 ANS APRÈS SA PARUTION, L’AUTOBIOGRAPHIE DE L’UN DES PLUS GRANDS GÉNIES MUSICAUX DU XXe SIÈCLE SORT ENFIN EN FRANÇAIS.

Duke Ellington

« Music Is My Mistress »

ÉDITIONS SLATKINE & CIE, TRADUIT DE L’ANGLAIS (ÉTATS-UNIS) PAR CLÉMENT BOSQUÉ ET FRANÇOIS JACKSON, AVEC CHRISTIAN BONNET, 590 PAGES.

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Aussi étonnant que cela puisse paraître, l’autobiographie de Duke Ellington n’avait encore jamais bénéficié jusqu’ici d’une traduction française. Etrange pour un pays qui s’est toujours présenté comme une terre jazz de prédilection. D’autant plus concernant celui qui reste l’un des grands noms du genre, et même davantage encore, considéré par d’aucuns comme l’un des esprits les plus géniaux de la musique populaire du XXe siècle. Un géant auquel on doit des standards insubmersibles tels Caravan, Take the ‘A’ Train ou encore In a Sentimental Mood, sommets d’élégance et de raffinement.

Publié pour la première fois en 1973, un an avant la mort du Duke, à l’âge de 75 ans, Music Is My Mistress aura donc mis plus de quatre décennies pour atterrir en français. Il fallait probablement ça pour épousseter une image peut-être un peu trop distinguée, un peu trop classique, déclassée par le be-bop d’abord, le free jazz ensuite. A certains égards, Music Is My Mistress dégage d’ailleurs un joli parfum désuet –« Il était une fois une belle jeune femme et un très beau jeune homme qui tombèrent amoureux et se marièrent », commence Duke Ellington, à la manière d’un conte. Une distinction surannée qui, avouons-le, participe largement au charme de l’entreprise.

Cool cats

Music Is My Mistress reste encore aujourd’hui un drôle d’objet biographique. Confiant ses souvenirs au spécialiste jazz britannique Stanley Dance, Duke Ellington semble sautiller d’un événement à l’autre, avec une légèreté et un cool constants. Un peu « comme il composait sa musique », explique Claude Carrière en préface, notant « une idée musicale sur une note de restaurant ou une facture de blanchisseur ». A la manière d’une oeuvre musicale au long cours, dont il fut le pionnier en jazz, la somme est découpée en huit actes et un épilogue. Le musicien y détaille son enfance, son parcours, ses tournées incessantes aux quatre coins du monde, de Mexico à Prague, glisse des entractes, des bouts de poèmes… En outre, chaque chapitre est ponctué par ce que Dance et Ellington ont nommé des « Dramatis Felidae », littéralement les « chats de l’intrigue »: de petites notices présentant les musiciens de son orchestre, ainsi que quelques-unes des stars qu’il a pu croiser tout au long de sa carrière, d’Orson Welles à Mahalia Jackson en passant par Frank Sinatra.

Certes, il ne faut pas attendre de Music Is My Mistress de révélations croustillantes. Encore moins de grands épanchements intimes. Il n’en reste pas moins une lecture éminemment séduisante et distrayante (« – De tes observations, as-tu déduit ce qui pourrait en fin de compte détruire l’homme? – Un mélange de suffisance et de manque d’ambition »), à la fois chic et pleine d’esprit. A l’image du génial musicien, à la musique aussi légère que spirituelle.

LAURENT HOEBRECHTS

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