LA CINEMATEK PROPOSE, PENDANT UNE SEMAINE, UN PANORAMA DE L’ÉDITION 2012 DE LA QUINZAINE DES RÉALISATEURS. RETOUR SUR LA SÉLECTION EN COMPAGNIE DE SON DÉLÉGUÉ-GÉNÉRAL, EDOUARD WAINTROP.

Dans le paysage cannois, la Quinzaine des Réalisateurs est, à sa façon, une institution. Initiée en 1969 par la Société des Réalisateurs de Films en réaction aux diverses scléroses dont souffrait alors la sélection officielle, la section parallèle n’a pas seulement jalousement cultivé son indépendance, elle s’est aussi imposée comme un espace privilégié d’aventures et de découvertes -le cadre où les Jim Jarmusch, Nagisa Oshima, Michael Haneke et autres frères Dardenne ont fait, comme tant d’autres, leurs premiers pas sur la Croisette. De quoi se poser en fringante quadragénaire, révélant bon an mal an son lot de cinéastes en devenir, non sans continuer à en accueillir d’autres, établis, trouvant là un espace conforme à des aspirations nouvelles -ainsi, récemment, de Francis Ford Coppola avec Tetro. Ces diverses lignes de force, on les retrouve dans la sélection 2012, dont la Cinematek propose judicieusement un panorama en douze films, de The We and the I, tourné par Michel Gondry dans le Bronx, à La Sirga, premier long métrage du réalisateur colombien William Vega; de The King of Pigs, film d’animation secouant du Sud-Coréen Sang-ho Yeun, à La noche de enfrente, £uvre posthume de Raoul Ruiz.

Derrière cette sélection, Edouard Waintrop, critique pendant 26 ans à Libération, avant de prendre les rênes du festival de Fribourg. Nommé à la tête de la Quinzaine en juillet dernier, ce dernier s’y est retrouvé en terrain familier, « le privilège de l’âge » lui ayant permis de suivre la section depuis les origines. De l’édition 2011, qui avait valu à son prédécesseur, Frédéric Boyer, d’être débarqué avec fracas après deux années à peine à la tête de la sélection, il se borne à dire qu’elle ne lui avait pas donné envie, tirant là le rideau sur une polémique ne le concernant d’ailleurs pas.

La meilleure section

Plutôt que de se répandre en vains commentaires, Waintrop s’est attaché à rendre à la Quinzaine son aura particulière, qui en fait potentiellement, à ses yeux, « la meilleure section à Cannes. Ce ne sont peut-être pas les meilleurs films, mais la meilleure section. Et je pense que c’est ce qui attire des cinéastes: quand ils viennent à la Quinzaine, il va y avoir une qualité d’accueil du public et de l’équipe qui est, à mon avis, insurpassable. »

A l’écouter parler, à l’autre bout de la ligne, depuis ses bureaux parisiens -il partage son temps entre la France et la Suisse, où il dirige les salles de cinéma du Grütli, à Genève-, on comprend rapidement que le cinéma doit avant tout, dans son esprit, rester un plaisir. Une philosophie que reflète largement sa sélection et qu’il résume en une formule: « Sans plaisir du spectateur, il ne peut pas y avoir de choix de film. » A charge, dès lors, pour lui et son équipe de s’en faire les vecteurs: « Découvrir, et avoir du plaisir en découvrant, c’est l’un des plus grands privilèges qui soit donné à un sélectionneur. » S’agissant de cette édition 2012, ce sont quelque 1400 films qui ont ainsi été visionnés, pour 21 long métrages élus. Et si Waintrop avait pour lui son expérience fribourgeoise, il ajoute aussitôt que les contextes sont incomparables, tant par leur ampleur respective que par leur essence même: « A Fribourg, je venais après la bataille, je ramassais les miettes. A la Quinzaine, c’est fort différent: on est extrêmement en amont, puisque 90 % des films qu’on a vus n’étaient pas terminés. On a une possibilité de discuter avec les cinéastes, même parfois sur la façon de finir le film. Et on sent très bien que de notre choix vont dépendre beaucoup de choses pour les cinéastes en question. Donc, il faut être responsable et prudent. » Ce qui n’exclut pas pour autant des choix audacieux, loin s’en faut. De fait, la Quinzaine 2012 n’a pas manqué d’affirmer une personnalité forte et sans £illères, avec ses six premiers films, ses six films latino-américains -tendance que l’on a, il est vrai, retrouvée à l’échelle du festival-, mais encore ses quatre comédies (genre généralement sacrifié dans ce type d’environnement), et jusqu’à un film d’animation pour enfants, le délicieux Ernest & Célestine de Renner, Aubier et Patar.

A la question des équilibres à respecter dans une sélection, Edouard Waintrop répond par les tonalités des films: « Montrer des films d’un même genre, ou d’un même type, c’est tuer une sélection. Il faut jouer de l’alternance, du contraste, à tous les niveaux: de longueur, de tonalité, de genre. » Une diversité que reflète la reprise proposée à la Cinematek, où une comédie uruguayenne – 3 de Pablo Stoll Ward- côtoie un drame algérien en prise sur les blessures de la guerre civile ( Le repenti de Merzak Allouache, que l’on n’avait plus vu aussi inspiré depuis des lustres), et jusqu’à un film d’action fleuve, venu d’Inde celui-ci, Gangs of Wasseypur d’Anurag Kashyap. Et la promesse, selon Edouard Waintrop, de 320 minutes de « plaisir inépuisable, comme celui qu’on a à voir un bon film de Raoul Walsh ou de Howard Hawks. C’est le retour du cinéma d’action sans effets spéciaux envahissants, basé avant tout sur la mise en scène et l’humour. » Et si quelques films manquent à l’appel -dont, regrette-t-il, Adieu Berthe et Camille redouble, les comédies de Bruno Podalydès et Noémie Lvovsky, à défaut de l’accord de leur distributeur respectif-, on ne boudera pas pour autant son… plaisir: la Quinzaine à la Cinematek, c’est Cannes dans son jardin, la cohue de la Croisette en moins mais la promesse de découvertes intacte. l

u QUINZAINE DES RÉALISATEURS, CINEMATEK, BRUXELLES, DU 20 AU 27/06.

TEXTE JEAN-FRANÇOIS PLUIJGERS

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