SCOUT ET PRODUCTEUR ARISTOCRATE QUI A ACTIVEMENT LUTTÉ CONTRE LA SÉGRÉGATION, JOHN HAMMOND A DÉCOUVERT BILLIE HOLIDAY ET ARETHA FRANKLIN. LANCÉ DYLAN, LE BOSS ET LEONARD COHEN. BORN TO RUN…

Personnalité parmi les plus importantes et déterminantes de l’Histoire du jazz pour beaucoup, John Hammond fut assurément depuis ses coulisses l’un des hommes avec le plus de flair que l’industrie du disque ait connus. Marquant de son empreinte et de son tympan aux aguets l’Histoire du rhythm’n’blues, du folk et du rock, le découvreur de talent et producteur de la Columbia a écrit à sa manière quelques-unes des plus belles pages de l’Histoire de la musique.

Issu de l’aristocratie de l’Upper East Side, John Henry Hammond Jr. naît avec une cuillère d’argent dans la bouche le 15 décembre 1910 dans une imposante demeure en granite de Manhattan. Son père qui, comme son grand-père d’ailleurs, porte le même nom que lui est à la tête d’une dizaine de sociétés. Sa mère est une Vanderbilt, cette riche famille américaine célèbre pour ses activités dans le commerce et les affaires mais aussi pour sa propension au mécénat. Selon l’économiste John Kenneth Galbraith, les Vanderbilt ont démontré qu’ils avaient du talent pour gagner de l’argent mais qu’ils étaient encore plus doués pour le dépenser.

Dans le cas de John, ce sera à bon escient. En 1931, lorsqu’il abandonne ses études à Yale, Hammond le bien né travaille bénévolement pour la station WEVD comme disc-jockey. Il se met à organiser une jam session hebdomadaire avec les musiciens de blues et de jazz qu’il affectionne tant. Dès l’adolescence, John, qui brosse l’école pour aller écouter les musiciens de rue et s’acheter des disques, est tombé amoureux de la musique noire. « Si je suis moi, c’est parce que j’ai eu l’occasion de découvrir Harlem, déclarait-il en 1971. Les Blancs de la haute y allaient dans les années 20 pour s’encanailler. Moi, j’y sortais par passion. »

Il approfondit ses connaissances en explorant le sud du pays alors qu’il couvre pour l’hebdomadaire The Nation l’affaire des Scottsboro Boys, ces neuf Afro-Américains de 12 à 20 ans accusés d’avoir violé deux femmes blanches dans un train de marchandises traversant l’Alabama, et dans un premier temps condamnés à mort.

A l’époque, il finance de sa poche des sessions d’enregistrement. Paie les musiciens, avancent leurs tickets de train et d’avion et se fait rarement rembourser. En février 1933, année où il devient directeur d’enregistrement pour Columbia, il craque dans un club d’Harlem pour la voix d’une jeune inconnue de 17 piges qui a déjà fait de la prison pour proxénétisme. Elle s’appelle Billie Holiday.

Hammond est un grand artisan de la rencontre entre musiciens blancs et noirs. C’est notamment lui qui incite Benny Goodman à faire de la place à des Blacks dans son band. Et organise le concert historique From Spirituals to Swing au Carnegie Hall, en faisant le premier groupe musical racialement intégré à se produire dans une salle de pareille importance aux Etats-Unis. « Si Benny n’avait pas percé, je n’aurais jamais fait carrière dans l’industrie du disque. Je n’étais pas assez commercial », reconnaîtra-t-il d’ailleurs.

Forever young

Toujours au taquet, Hammond découvre Count Basie sur les ondes d’une radio de Kansas City. Met la grappe sur Charlie Christian dans un petit club honky tonk d’Oklahoma City. Il rate aussi des coups. Et refuse par exemple d’enregistrer Ella Fitzgerald quand il l’entend en 1934, alors qu’elle vient de remporter un concours amateur. Les risques du métier… Et la plus grosse erreur, dira-t-il, de sa carrière.

A l’époque, Hammond joue les critiques dans diverses publications américaines et anglaises comme Down Beat et le Melody Maker. Il s’y enthousiasme sans gêne, oubliant souvent de mentionner qu’il parle d’artistes dont il supervise les sessions.

Au début des sixties, après avoir produit Lena Horne et Paul Robeson, deux symboles de la réussite noire à Broadway (qu’il soutiendra dans leur combat pour les droits civiques), fait un saut dans l’armée et bossé pour divers labels, il est de retour chez Columbia où il transfère Pete Seeger. En écoutant les chansons d’un type sur démo, il met la main sur une chanteuse de gospel qu’il qualifie de « plus grande voix noire depuis Billie Holiday ». Il s’agit d’Aretha Franklin, qu’il traquera pendant deux mois et dont il produira, comme souvent avec ses trouvailles, les premiers albums.

Malgré les réticences de sa maison de disques (on parle à l’époque de la folie Hammond), l’homme à l’ouïe fine signe en 1961 pour cinq ans un jeune folkeur inconnu invité par Carolyn Hester à jouer de l’harmonica sur l’album qu’elle enregistre dans les studios de Columbia. Il est en train de lancer Bob Dylan à qui (avec Johnny Cash) il évite le C4 de son soutien inconditionnel après un premier album austère boudé par le public. Dylan fréquente le CORE (Congress of Racial Equality), pour qui il écrit The Ballad of Emmett Till, l’histoire d’un ado noir battu à mort pour avoir sifflé une fille blanche, et signe avec Blowin in the Wind la protest song ultime. Les deux étaient faits pour s’entendre…

« Un poète canadien de 40 ans? Comment on va le vendre?« , s’interrogent ses responsables avant qu’il leur fasse découvrir le jeune trentenaire Leonard Cohen… En 1972, alors qu’il a passé la soixantaine, Hammond reconnaît encore le talent qui sommeille en Bruce Springsteen, en qui il voit un poète-né et un extrêmement bon guitariste. Nommé « Homme du siècle » trois ans plus tard par une assemblée d’industriels du disque, Hammond succombera le 10 juillet 1987 à une série d’attaques. Le Boss reprenant à ses funérailles le Forever Young de Dylan…

CHAQUE SEMAINE, COUP DE PROJECTEUR SUR UN CHERCHEUR D’OR MUSICAL.

TEXTE Julien Broquet

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