ADEPTE DES TORTURES PSYCHOLOGIQUES PLUS QUE PHYSIQUES, PORTAL 2 **** S’ENFERME DANS UN HUIS CLOS SCIENTIFIQUE DÉLIRANT ENTRE CASSE-TÊTE ET JEU DE TIR EN VUE SUBJECTIVE. SÉQUENCE FRISSON.

S’immerger dans un jeu de tir vu à la première personne façon Call Of Duty: Black Ops se résume trop souvent à tuer des terroristes et/ou des aliens. Sorti discrètement en 2007, Portal 1 réinventait élégamment et radicalement ce genre en évitant le sang et en mettant à l’honneur la réflexion. Le monde du jeu vidéo n’en revenait pas: pour la première fois, le gameplay d’un first person shooter se mariait à celui d’un puzzle game. Mieux, l’atmosphère et le scénario du titre de Valve Software se livraient à une violence mentale (plutôt que physique) jamais vue. Cette expérience de labo géante claustrophobe enfermait en effet le joueur comme Vincenzo Natali l’avait fait dans son film Cube. Le tout sur fond de périple solitaire, avec pour seule compagne la voix synthétique et sarcastique de GLaDOS, cousine éloignée de HAL9000, intelligence artificielle détraquée et psychopathe du 2001 Odyssée de l’Espace de Kubrick.

« On a développéPortal 1 en pensant à une expérience de jeu intime. C’était vous et GLaDOS. Presqu’un monologue. Vu les réactions enthousiastes, c’est ce qui a à nouveau guidé notre ligne de développement », précise Erik Wolpow ( Half-Life, Psychonauts), co-auteur du scénario de Portal 2 aux côtés de Chet Faliszet.  » Et même si cette suite compte plus de personnages, ils n’ont que très peu de relations entre eux pour que tous se dirigent vers le joueur. »

L’élément le plus marquant du premier Portal tournait également autour de la création (avec une arme à feu spéciale) de 2 portes, d’entrée et de sortie, pour un raccourci dimensionnel instantané. Une espèce de passe-muraille boosté aux hormones qui, appliqué sur certains murs, sols et plafonds, permettait de s’échapper de chaque pièce-prison rythmant le jeu. Le tout agrémenté de 1001 situations et accessoires à éviter ou déclencher dans le bon ordre (interrupteurs, cubes, robots mitrailleurs fixes…). Pour sa suite, Portal 2 va encore plus loin dans la folie de ses déplacements métaphysiques.

Le premier opus conçu par (seulement) 9 développeurs est passé à un budget de super production Triple A pour sa suite. L’ombre d’une man£uvre opportuniste planait à priori, comptant sur une communauté de joueurs et une réputation bien installée. « Le premier Portal a connu un processus développement plutôt inhabituel. Il était un peu comme ces pochettes de jeux sur Atari 2600. Elles étaient magnifiques mais les graphismes des jeux étaient en réalité super moches », sourit Chet Faliszet. « Dans cette suite, on est en fait arrivé à retranscrire la vision originale qui n’avait jamais pu aboutir dans Portal 1 , faute de moyens. « 

Sésame, ouvre-toi!

Coincé comme un rat de laboratoire dans un labyrinthe de cathédrales industrielles déglinguées, le joueur explore d’abord les moindres recoins de chaque pièce où il atterrit dans Portal 2. Aux éléments clés permettant l’échappatoire du premier épisode, viennent entre autres s’ajouter des tremplins et ponts luminescents, à combiner avec les fameux portiques du jeu. Si une porte, créée sur le mur d’un rez-de-chaussée, croise le chemin d’une de ces passerelles, le second portique que l’on aura ouvert à l’étage la recrachera. Portal 2 aime booster les capacités de déplacement du joueur. Egalement neuf, le mode coopératif et ses énigmes inédites à 2 excellent. Avec un partenaire sur écran splité, la communication est primordiale. Fous rires garantis lorsqu’on tue l’autre par mégarde.

Parmi les autres nouveaux gimmicks du jeu, l’emploi de gel de couleurs différentes permet à Shell, l’héroïne du jeu, de réaliser des courses et sauts surhumains. Autant d’éléments qui mettent en avant le principe de conservation de l’énergie cinétique pour fasciner. Portal 2 permet ainsi de courir vitesse grand V sur un sol peint en vert. Terminer son sprint dans un portique mural ayant sa sortie sur une surface plane fera décoller le joueur dans les airs. L’effet de surprise est moindre, mais les sensations au rendez-vous.

Portal 2 a, en outre, le bon goût de sortir du cadre strict du laboratoire cette fois-ci pour plonger dans un environnement moins hermétique. Les énigmes tordues à base de portiques et le nombre de protagonistes sont aussi démultipliés. Reste que, parfois, certains problèmes se solutionnent en regardant bêtement des indices comme les endroits (limités) où l’on peut ouvrir des portails. Essentielle, l’observation de l’environnement scientifico-industriel SF du jeu est également mise en avant avec excès sur certains passages.

Heureusement, le style graphique, plus bordélique et végétal que par le passé, brille. Dansant un ballet mécanique improbable, des panneaux articulés sur bras se rangent dans des murs lors de chaque entrée dans une pièce, tandis la visite de diverses décennies passées rythment ce parcours à huis clos.

Comme dans toute bonne expérience de rat de labo, la récompense pointe à la fin de chaque énigme résolue. On attend impatiemment chaque commentaire sarcastique et cynique de GLaDOS mais aussi d’autres personnages. Des promesses non tenues. Un confinement étouffant. Des tourelles mitrailleuses blanches qui, d’une voix candide, saluent (trop) aimablement, demandent gentiment si on est là. Et nous tirent dessus en précisant  » sans rancune« . Le niveau de stress monte car Portal 2 joue très bien avec les pieds de ses gamers.

« J’aime les expériences de Stanford et j’ai eu pas mal d’entretiens avec les psychologues de notre studio », précise Eril Wolpow. « Nous nous sommes inspirés de techniques d’interrogatoires modernes. Dans l’entraînement de l’armée britannique, ils enferment des soldats 5 jours avec un lapin qu’ils doivent manger à la fin. Le problème avec les expériences de prisonniers, c’est que ça reste difficile à recréer.  » On est convaincu du contraire: Portal 2 nous a bel et bien enfermé. l

(1) PORTAL 2, ÉDITÉ PAR ELECTRONIC ARTS ET DÉVELOPPÉ PAR VALVE SOFTWARE, ÂGE 18+, DISPONIBLE SUR MAC, PC, PLAYSTATION 3 ET XBOX 360

TEXTE MICHI-HIRO TAMAÏ

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