POUR SON PASSAGE DERRIÈRE LA CAMÉRA, DANIEL AUTEUIL SIGNE UN REMAKE DE LA FILLE DU PUISATIER. UN RETOUR AUX SOURCES, QUELQUE PART DU CÔTÉ DE JEAN DE FLORETTE ET MANON DES SOURCES.

RENCONTRE JEAN-FRANÇOIS PLUIJGERS

RENCONTRE JEAN-FRANÇOIS PLUIJGERS

Entre Marcel Pagnol et Daniel Auteuil, il y a comme une évidence. Aux racines provençales communes s’est ajouté, il y a une bonne vingtaine d’années d’ici, l’héritage assumé, sous la forme de 2 films, Jean de Florette et Manon des sources, empruntés par Claude Berri au répertoire du premier et qui allaient asseoir la popularité du second. C’est peu dire, en effet, qu’il y eut, pour Auteuil, un avant et un après Ugolin, le rôle qui devait jeter les bases d’un avenir décliné sous les traits du « plus grand acteur français de sa génération », suivant l’expression consacrée. Un statut entretenu 2 exceptionnelles décennies durant, qui devaient le conduire de Sautet en Téchiné, de Van Dormael en Leconte, et bientôt de Garcia en Haneke et jusqu’aux frères Larrieu, avant de laisser entrevoir un certain essoufflement.

Pagnol, dans le texte

Moment choisi fort à propos par le comédien pour s’atteler à la mise en scène, et se tourner, quoi de plus naturel, vers l’auteur de la trilogie. « Le fruit était mûr », s’amuse-t-il, s’agissant d’évoquer un passage longtemps différé: « A force de fréquenter et d’avoir des amis metteurs en scène assez pointus, cette proximité, cette complicité m’a ouvert l’esprit. Et peu à peu, depuis une dizaine d’années, j’ai commencé à éprouver le désir de raconter une histoire de mon point de vue. J’y avais pensé avant, mais c’était pour aller plus vite, pour me donner un rôle qu’on ne me donnerait pas, par pragmatisme. J’aurais pu le faire aussi par caprice, pour la forme… Mais là, je n’avais rien d’autre à prouver que raconter cette histoire, et une forme d’indépendance, peut-être, et de liberté. » Un choix du c£ur, donc, et l’occasion d’un retour aux sources. Non, pour autant, que le néo-réalisateur ait opté pour la facilité: au même titre que Le Schpountz ou La Femme du boulanger du même Pagnol, La Fille du puisatier appartient au patrimoine; c’est là un authentique classique, inscrit, pour ainsi dire, dans le marbre cinématographique. Ce qui n’a pas eu l’heur, pour autant, d’intimider Daniel Auteuil: « Je considère que les grandes £uvres et les grands rôles classiques sont faits pour être joués de génération en génération. Sans quoi l’on ne jouerait plus jamais ni L’Ecole des femmes , ni Les Fourberies de Scapin. Ensuite, le film de Pagnol, avec ces 2 génies que sont Fernandel et Raimu, existe et existera toujours. Loin de moi l’idée d’essayer de les imiter. J’avais un désir simple, qui était de faire entendre ce texte aujourd’hui comme si c’était la première fois, de la même façon que quand je joue Molière. « 

Le plaisir de partager la langue de Pagnol, il transpire de chacun des dialogues du film qui en restitue la musique, avec « l’accengue » dans le texte -il n’aurait plus manqué que Cantona soit de la partie, même si Darroussin, Merad et Auteuil soi-même font mieux que s’en acquitter. « La façon d’entendre la partition et de la restituer, je la connais », observe ce dernier, que l’on n’avait plus vu autant à son affaire depuis bien longtemps -il faut l’entendre s’approprier, toujours juste, des tirades façon: « Maintenant, je comprends qu’il faut se méfier des gens qui vendent des outils et ne s’en servent jamais », ou autre « Une motocyclette, ça n’a l’air de rien, mais ça peut emporter le bonheur d’une famille ». Moins que l’expression d’un folklore plus ou moins poussiéreux, on y verra celle de valeurs simples qui, ajoutées au romanesque, ne sont sans doute pas étrangères au sentiment d’intemporalité qui se dégage de l’£uvre de Pagnol. Interroge-t-on Auteuil sur ce qu’a à nous dire l’auteur provençal aujourd’hui qu’il répond: « Des choses de bon sens, toujours. Il a beaucoup à nous dire sur les boutiquiers et les gagneurs de sous, sur la fierté de ne dépendre de personne. Il nous parle de la différence de classes, de la paternité, et nous dit que le poids de l’amour est plus fort que celui du sang. Il y a de l’humanisme en lui. «  Et une manière de tendre à l’essentiel comme à l’universel.

Ne rien lâcher

On peut aussi voir, à bon droit, dans La Fille du puisatier quelque respiration bienvenue face à la dictature du bling-bling, interprétation que l’auteur accueille avec le sourire. Et s’il accepte, dans la foulée, le qualificatif de nostalgique – « il est possible que ça m’échappe, mais pourtant, ça n’est pas mon caractère »-, il récuse, pour autant, toute tentation passéiste, quand bien même son film évoquerait-il quelque cinéma « à l’ancienne ». « Je dirais plutôt classique. Je n’ai pas essayé de tricher, j’ai essayé d’être le plus sincère possible, et peut-être qu’il en sort un truc à l’ancienne. C’est possible, parce que je suis ancien aussi, vous voyez? » -réflexion accompagnée d’un rire franc, que l’on peut rapprocher d’une autre, glanée quelques instants plus tard: « Quand c’était bien chez Pagnol, dans le fond, c’était pas la peine d’essayer de faire le révolutionnaire. «  Allusion, cette fois, à sa fidélité à l’£uvre originale. Tout au plus si, dans sa retranscription de l’histoire, et de la noblesse des sentiments qui la traversent, Auteuil a veillé à assortir la pudeur d’ensemble d’un surcroît de lyrisme: « C’est ce qui me manque, moi, comme spectateur. Je viens de là, d’un cinéma qui est à la fois axé sur les racines des gens et localisé. J’aime bien le cinéma néo-réaliste, et que le lyrisme provienne de l’émotion, qu’il soit provoqué par les acteurs, et non par des effets de caméra. » Ce qui renvoie aussi à une façon de laisser les choses s’installer:  » Pour faire simple, chaque fois que j’ai pu mettre des plages de cinéma pur, je l’ai fait bien volontiers », commente-t-il modestement.

A l’arrivée, et en dépit de l’une ou l’autre maladresse, excusable au demeurant, on peut assurément parler d’une première concluante. S’agissant d’Auteuil, venu à la réalisation « comme un artisan fait un objet », on jurerait même que l’acteur en a profité pour se réinventer. De là à renouveler l’expérience? « Cela m’a plu passionnément, et je voudrais faire cela jusqu’à la fin de mes jours. Réaliser ce film m’a rappelé des choses à moi-même: je ne me savais pas capable d’autant de ténacité, ni même d’être obsessionnel comme ça. Ou, face à des décisions, de les prendre, m’y tenir et ne rien lâcher. Sur un film, sitôt que vous lâchez quelque chose, même la plus petite, il ne vous appartient plus. Je n’avais pas d’ambition particulière, sinon que le film me ressemble le plus possible.  » Et d’évoquer, déjà, l’envie qui l’habite désormais de revisiter la trilogie, Marius, Fanny et César, histoire de prolonger l’histoire qui le lie à Pagnol depuis 25 ans: « C’est à lui, et à Claude Berri, que je dois en partie d’être encore là aujourd’hui…  »

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