Bientôt à l’AB dans le cadre du festival Domino, les Californiens de Fool’s Gold confirment l’africanisation de la pop et du rock indé. L’Afropop se lève à l’Ouest.

C’est un peu comme un envoûtement. Un sort qu’on aurait lancé à nos oreilles d’Occidentaux. Depuis l’avènement populaire de Vampire Weekend, on entend des sonorités africaines tout le temps et partout. De Yeasayer à Foals, d’Animal Collective à Akron Family, de Buraka Som Sistema à Local Natives en passant par Franz Ferdinand qui se prédisait un virage afro beat et s’est contenté d’un afro single voire d’une afro guitare, le continent de la brousse et des paillotes contamine, avec souvent beaucoup de bonheur ces dernières années, la pop et le rock indé.

Installé à Los Angeles, composé d’une dizaine de musiciens aux racines américaines, israéliennes, brésiliennes et argentines, Fool’s Gold sonne surtout bon la musique africaine. Lumineuse, vivante, spontanée. Plus proche de Tinariwen que de Vampire Weekend. Une hérésie? Que du contraire. Luke Top, qui soit dit en passant chante en hébreu, a une vision très claire de la chose.  » Je conçois la musique comme une interminable conversation. Partout dans le monde, pas seulement en Afrique, des artistes ont été influencés par la musique occidentale. Ils l’ont intégrée à leur propre culture, à leur propre monde. Ces musiciens sont marqués et influencés par des choses extrêmement éloignées de leur réalité et de ce qu’on pense être leur quotidien. Il existe une tradition d’échange d’idées plus transparente qu’on l’imagine. En écoutant Mahmoud Ahmed, tu peux entendre James Brown. Chaque pays participe au dialogue. »

Dès la fin des années 70, avec le Fear of music des Talking Heads, Brian Eno et David Byrne laissaient une large place à l’improvisation et au mélange des genres. Inventaient des techniques de production nouvelles qui marqueraient profondément les musiques du monde. Le duo mélangerait même quelques années plus tard des enregistrements de muezzins à des sons électroniques sur l’album My Life in the bush of ghosts. Dans les années 80, Peter Gabriel s’intéressait aussi déjà hautement à la world music. Une influence qui n’a fait que s’accroître dans son travail menant l’ex-Genesis à créer les studios puis le label Real World, à Bath, dans son Royaume-Uni natal. A faciliter la création africaine. A faire connaître un Youssou N’Dour… En 1986, inspiré par la découverte du mbaqanga, musique populaire sud-africaine, Paul Simon réaliserait encore un retour inattendu avec le disque Graceland.

 » Le rock est essentiellement basé sur les guitares. Le rock vient du blues. Et le blues vient de la musique d’Afrique de l’Ouest, décortique le guitariste de Fool’s Gold Lewis Pesacov. La plupart des groupes des sixties, ceux de la british invasion, étaient obsédés par le blues. Keith Richards était fasciné par Robert Johnson. Et on peut aller plus loin, chercher l’ADN musical de Robert Johnson. Je ne peux pas parler pour les autres groupes américains mais je pense qu’il est facile en tant que guitariste d’entendre les grattes d’Afrique et de s’intéresser à leur aspect esthétique. L’Afrique est l’autre repaire de la guitare électrique. L’indie rock est de la musique à guitares. La connexion est presque évidente. »

Si le dialogue est permanent, il a longtemps été de sourds mais il semble patent que les Occidentaux tiennent maintenant moins le crachoir qu’avant.  » Une bonne partie du rock indé est prétentieuse, n’est pas sincère, se lâche Pesacov. Dans les années 90, c’était style d’être ironique. Les nineties n’étaient que ça. Se voiler, cacher ses émotions. Mais avec l’élection de Barak Obama, on est arrivé à un moment dans la culture et l’histoire américaine où il y a de la place pour l’espoir. Nous sommes dans une ère où nous pouvons êtres honnêtes et complètement sincères. C’est ce que nous essayons de faire. »

Plus terre à terre et tangible, Internet a sans aucun doute joué un rôle prépondérant dans le phénomène.  » On devient de plus en plus sophistiqués, reprennent d’une voix le chanteur et le guitariste de Fool’s Gold. Internet a chamboulé notre perception du monde. Ça ne semble pas logique de s’identifier à des choses qui sont physiquement si loin de nous mais la notion d’espace a changé. Je ne sais pas dans quelle mesure l’isolation existe encore aujourd’hui. On ne peut plus fermer les yeux sur le reste de la planète. »

 » L’un d’entre nous a étudié les percussions au Ghana et joué dans le désert au Mali mais je n’ai jamais été en Afrique, avoue Luke Top. Internet nous est donc extrêmement bénéfique. Il y a 10 ans, nous aurions été bien en peine de débusquer beaucoup des trucs que nous avons écoutés ces dernières années. Le Web nous a offert un libre accès au monde. »

 » Beaucoup de blogs comme Awesome Tapes from Africa ont dévoilé toute une série d’artistes, d’albums, de morceaux qu’il était pratiquement impossible de se procurer aux Etats-Unis, abonde Ezra Koenig, le chanteur de Vampire Weekend. Le Web a facilité l’exploration.  »

Certaines mauvaises langues parlent d’ailleurs de pillage pur et simple. Ce qui a le don de l’irriter.  » Je me demande quelquefois si ce n’est pas un moyen pour parler d’autre chose. Si ce n’est pas une manière détournée d’aborder des enjeux politiques, expliquait-il dans le magazine Vibrations Sound. Je ne voudrais pas aller trop loin dans cette direction mais ce sont des questions qui m’interpellent. Il y a un gros problème quand on accuse des gens comme nous de faire du colonialisme. C’est un peu comme comparer une personne déplaisante à Hitler. Lorsqu’on qualifie de colons ou d’impérialistes tous les groupes qui s’inspirent des musiques d’ailleurs, on met dangereusement en péril la signification même de ces notions. » « Ce n’est pas comme si nous nous offrions les services de musiciens africains sans les payer », ajoutait d’ailleurs le claviériste Rostam Batmanglij.

Damon et l’Afrique

Si quelque chose rapproche Vampire Weekend et tous ses petits copains des Paul Simon et autres Peter Gabriel, c’est qu’ils ont écrit des chansons pop qui découlent de leur curiosité pour des musiques non occidentales. Paul Simon, Peter Gabriel et les Talking Heads ont intégré la musique africaine de manière intéressante en embauchant des musiciens venus de ces pays lointains. Une rencontre humaine qui caractérise pas mal de projets éclos ces dernières années.

Dès le début des années 2000, Damon Albarn renouait en grande pompe le dialogue. Lorsque l’ONG Oxfam l’invitait à la représenter au Mali, le leader de Blur et de Gorillaz décidait d’enregistrer avec des musiciens du pays comme Toumani Diabaté ou Afel Bocum. En découleraient entre autres l’album Mali Music, le label Honest Jon’s et la grande tournée événement Africa Express.

Depuis, la liste s’allonge. Les choses s’emballent. The Ex enregistre avec un saxophoniste éthiopien. The Heliocentrics bosse avec l’un des pionniers de l’éthio-jazz. The Very Best associe le duo de producteurs Radioclit avec un chanteur malawite. Et le label Thrill Jockey sort de ses sentiers chicagoans et publie la collaboration de Golden, venu de Washington, et d’Orchestra Extra Solar Africa, groupe de benga basé à Nairobi au Kenya. Des rencontres évidemment fructueuses.

 » La musique possède en Afrique une autre dimension et une autre fonction que chez nous, termine Fool’s Gold. Elle est différemment intégrée à la vie des gens. Quand il n’y a pas ou peu de culture écrite, le verbe et le geste permettent de raconter et transmettre l’histoire. Souvent, le griot devient même le chef du village. Si ça devenait le cas dans nos contrées, tout irait sans doute beaucoup mieux. On devrait commencer à élire des musiciens présidents. » C’était pas déjà le cas de Bill Clinton?

Texte Julien Broquet

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