Où l’on apprend le rôle joué par une épingle à cravate

Damián Lobo vit à Madrid dans une solitude extrême. Ancien responsable de maintenance déclassé par l’explosion de l’obsolescence programmée, il a pour seul confident Sergio O’Kane, ami imaginaire qui l’interviewe à la télévision. Retransmises dans le monde entier, leurs rencontres bénéficient de taux d’audience exceptionnels… Voulant faire un cadeau à Sergio, Damián dérobe une épingle à cravate puis se cache dans une armoire en chêne pour échapper aux vigiles. Avant qu’il puisse en sortir, le meuble est livré dans la chambre de Lucia et Fédérico. Lobo se confectionne alors un abri dans le placard caché derrière l’armoire. Depuis les profondeurs de son antre, le Majordome Fantôme agit désormais comme une espèce de daïmon, particulièrement au chevet de Lucia. C’est, du reste, l’un des talents de ce livre court, enlevé, malin: projeter sur le lecteur une ombre bienfaisante par le biais d’un humour fantasque et inquiet. Avec une facilité déconcertante, Juan José Millás se joue de la suspension d’incrédulité, trace une route limpide parmi les faux-semblants et dose avec parcimonie les ingrédients d’une fable morale pour dire les angoisses d’aujourd’hui. Ou se construire une identité propre face au système économique et au regard des autres, faire des apparitions dans sa propre vie, réparer les vivants quand on ne fait pas la vaisselle. « Se retrouver à la rue à 43 ans c’était comme se retrouver dans le néant (…) On devient sincère quand on est découragé. » Existentiel, loufoque et attachant: à épingler!

De Juan José Millás, ÉDITiONS Plon, Traduit de l’espagnol par Hélène Harry, 176 pages.

8

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content