LE FESTIVAL INTERNATIONAL S’EST ACHEVÉ SUR QUELQUES PÉPITES ET BEAUCOUP D’INTERROGATIONS. BILL WATTERSON, AUTEUR DE CALVIN & HOBBES, EST CENSÉ PRÉSIDER LE PROCHAIN. RIEN N’EST MOINS SÛR.

Lorsqu’on demande à Willem, l’iconoclaste président de ce 41e festival de la bande dessinée d’Angoulême qui s’est achevé dimanche, ce qu’il retiendra de l’événement et de sa présence, le Hollandais répond brièvement, comme à son habitude: « L’inauguration de l’Impasse Schlingo! » Du nom de son ami, époque Hara-Kiri et Charlie Hebdo. Soit la crème de l’anti-système et l’événement le plus underground, portés aux nues d’un festival qui reste le plus populaire du secteur et du monde, avec plus de 200 000 visiteurs en quatre jours et une foire aux dédicaces plus courue qu’une fête de la bière à Munich. Toutes les contradictions du festival et du grand petit monde de la bande dessinée résumées en quelques mots, et cet instant, vécu un peu plus tôt: Willem toujours, inaugurant sa formidable exposition, accompagné de l’intelligentsia locale et d’un adjoint au maire balbutiant un « mmm, ça fait réagir… » devant un de ses dessins -le pape suçotant une capote.

Or, si le président 2014 n’a lâché que quelques mots, celui de 2015 risque d’en dire encore moins: Bill Watterson, l’auteur d’une seule oeuvre, Calvin & Hobbes, a été élu, pour la première fois, par l’ensemble de ses pairs pour réaliser, entre autres, l’affiche du festival et en tirer quelques lignes de force. Mais Watterson s’est retiré il y a près de 20 ans, refusant honneur, dessins et toute publicité. Un choix, peut-être le seul de tout le festival, qui réconcilie le grand public et les mollahs intellos du dessin, avec sa série humoristique aux 30 millions d’albums vendus, dont les héros, un gamin et son tigre en peluche, doivent leur nom à deux philosophes -radicalement différents. Mais qui plonge aussi les organisateurs du festival, déjà fragilisés, dans l’expectative: et maintenant? Décidément, dans ce festival en recherche d’identité, à l’image de son sujet, on aura finalement très peu parlé de bande dessinée.

Business first

Entre une foire aux dédicaces qui ressemble de plus en plus à une foire aux boudins, les tables rondes sur les droits d’auteur ou la distribution numérique, et le « buzz » du crowdfunding, thème omniprésent dans les travées du festival, peu d’auteurs ou de pros du secteur auront eu le temps de s’extasier devant les expositions de Tardi ou de Gus Bofa, découvrir le travail des collègues et prendre un pied juste esthétique et bédéphile: l’ambiance était au business et au networking, comme dans toutes les foires principalement commerciales. Et ce, que l’on soit mastodonte grand public -les Français règnent sur le festival, Delcourt a presque tout raflé- ou éditeur plus petit et pointu. « C’est évident que le chiffre d’affaires a tendance à baisser d’année en année, mais ça reste indispensable d’être présent, nous confirmait ainsi une éditrice de Cambourakis, maison qui publie au mieux une dizaine de romans graphiques par an. Pour les contacts, le réseau, l’image… Les gens sont beaucoup plus sélectifs, le secteur est plus difficile. » A l’Apocalypse, petit stand d’un mètre pourtant tenu par Jean-Claude Menu, un des géants de son secteur, on confirme: « Tu ne peux pas ne pas être là. Personne n’y gagne, c’est souvent le grand n’importe quoi, mais c’est ici que les contacts se nouent. Et les opportunités. » Deux mètres plus loin, des représentants de Ulule, KissKissBankBank ou Sandawe prêchent à même la foule les bienfaits du financement participatif. Au lendemain de la fête, tout le monde s’en est retourné à ses planches ou à ses business plans, prêts à fixer de vrais rendez-vous, conclus sur place en coup de vent. Quant à se revoir ici-même, dans un an… On y réfléchira avant de miser là-dessus un original de Tintin ou un strip de Watterson: le festival et ses sponsors vont d’abord faire leurs comptes, et puis tenter de joindre leur président.

TEXTE Olivier Van Vaerenbergh À Angoulême

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