Nouvelles Frontières?

© RICH LOMIBAO

Pour son second album, l’Américaine Ana Roxanne signe la BO d’un autre film imaginaire, aux confins d’une électronique flottante et de chants amniotiques.

Le terme ambient peut donner l’impression péjorative de ne concerner que les musiques d’ameublement. L’équivalent sonore d’un minimalisme à la japonaise, dégraissé de toute mobilité réaliste ou romantique. Une sorte d’apparent statu quo émotionnel qui, via de micro-variations, exposerait les failles de l’inconscient. Toujours dans l’héritage de l’école américaine répétitive et de la singularité de Brian Eno, explorant depuis les seventies les façons de rendre l’acoustique proche du corps, sans forcément l’épouser. Il est d’ailleurs beaucoup question de peau dans cet album d’Ana Roxanne, Californienne de 34 ans aux origines philippines, faisant il n’y a pas si longtemps son coming out en déclarant son intersexualité. En 2019, sur son premier mini-album, elle se faisait remarquer via une reprise d’ I’m Every Woman, classique funky-soul de Chaka Khan repopularisé par Whitney Houston en 1992. Le titre -devenu I’m Every Sparkly Woman- signait la marque Roxanne: une mélopée d’électronique filandreuse où se réfugie une voix calibrée entre substance amniotique et intentions nuageuses.

Le chant de Roxanne peut occasionnellement se rapprocher d’une pop électronique presque classique: c’est le cas de Camille, sur le présent disque, où une modeste boîte à rythme, jointe à l’orgue, sert de chausse-pied à la voix. D’ailleurs plus féminine qu’intersexe. Avec des samples d’un bout de texte tiré du film français Mystère Alexina, où le dessinateur iconoclaste Vuillemin jouait le rôle tragique d’Herculine Barbin, qui au XIXe siècle connaissait le même destin de multisexualité que Roxanne. Celle-ci emmène l’auditeur dans le vaste champ des possibles qui unit Laurie Anderson à Julianna Barwick. De cette dernière, Ana Roxanne possède la faconde de dresser des murs sons qui semblent flotter entre plusieurs espaces. On imagine bien un titre comme l’aquatique Venus prendre la place de la musique fantasmagorique de Ligeti dans la classique séquence de 2001, l’Odyssée de l’espace de Kubrick. Au moment où le vaisseau explorateur traverse les couches spatiales et consume le temps, à toute berzingue.

Nouvelles Frontières?

On peut évidemment caler d’autres références. Ainsi la toute première et courte plage de Because of a Flower, Untitled, rappelle les manipulations vocales et la poésie sonore de la scène arty new-yorkaise des années 70-80. Et puis, oui, l’expérimentation est présente, par exemple dans la conclusion de l’album, Take the Thorn, Leave the Rose (« Prends l’épine, laisse la rose »), avec ce bruit de pluie si proche d’un crachin numérique. Mais la réussite de ces sept titres, c’est qu’on peut aussi y glisser nos interprétations, nos fantasmes, nos manques et nos surplus. Un sauna qui décrasse, intrigue, questionne sur les choix et les incertitudes, mais parvient aussi à quitter le quotidien banalisé pour faire rêver.

Ana Roxanne

« Because of a Flower »

Distribué par Konkurrent.

8

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