Qu’en est-il de la création française émergente? Dynasty répond à travers une exposition double. Quarante artistes lancent 80 propositions symétriques au Palais de Tokyo et au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris.

Comme un écho par-delà la Manche à l’exposition Newspeak à la Saatchi Gallery dont le propos est de désigner la nouvelle scène artistique britannique ( lire Focus du 18/06), Dynasty a pour ambition de cerner la jeune garde française. Une réponse du berger au shepherd en quelque sorte. Sauf que cet événement -qui se déroule à cheval sur le Palais de Tokyo et sur le Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris- se situe au-delà de toute volonté de réplique ou de stratégie de positionnement. Le concept a été imaginé dès 2006 par Fabrice Hergott et Marc-Olivier Wahler, les 2 directeurs ayant pour seule et ferme intention de donner la parole aux jeunes artistes qui  » travaillent et vivent autour d’eux« . Dans la foulée des 2 commissaires généraux, on peut formuler ce projet autrement: « Dynasty se propose de prendre le pouls de la sensibilité artistique émergente en France. » Emergente étant compris comme le mot-clé. Quatre années ont été nécessaires pour fournir sa substance à cette exposition qui réunit une quarantaine d’artistes sur près de 5000 mètres carrés. Le travail prospectif des équipes scientifiques a été énorme. Elles ont fait jouer l’ensemble de leurs réseaux pour amasser le plus de matière possible. Les artistes approchés se sont eux-mêmes chargés de renvoyer la balle vers d’autres talents. Tout un travail a également été effectué du côté des écoles et des centres d’art. En bout de course, ce ne sont pas moins de 1000 dossiers qui ont échoué sur les bureaux de Wahler et d’Hergott. Après, il a fallu défricher. Enfermés de nombreux après-midi entre 4 murs, ils ont patiemment et courageusement débroussaillé cette forêt touffue. In fine, ce sont 40 artistes qui ont été retenus. Il leur a été demandé de montrer 2 £uvres en résonances. L’une au Musée d’Art moderne, l’autre au Palais de Tokyo, restituant ainsi la symétrie originale qui unit ces 2 bâtiments, dont l’un est financé par la Ville de Paris et l’autre par l’Etat français.

Perspectives

Après avoir vu Newspeak, impossible de ne pas mettre Dynasty en perspective. Quelques différences s’imposent déjà dans les règles du jeu. D’abord, l’âge, là où Newspeak ne pose aucune limite de ce type, Dynasty a fait l’impasse sur les artistes de plus de 35 ans. Autre différence de taille, on sent du côté français une véritable ambition de mettre à jour de nouvelles syntaxes, un vocabulaire formel et des énergies créatrices. A Londres, un doute plane: un agenda caché -celui de peser sur le marché de l’art- ne sous-tend-il pas la démarche de Saatchi? Enfin, une évidence crève l’écran de ces 2 événements. Alors que la vidéo était totalement absente de l’exposition londonienne, elle occupe une place de choix à travers les 80 propositions artistiques de Dynasty.

Parmi les noms que l’on retient, il y a celui de Gaëlle Boucand. Elle livre un projet en 2 temps très différents. Au Palais de Tokyo, ce sont 5 sculptures qui frappent ( 1). Elles sont constituées d’un collage de papillons véritables, traités pour demeurer inaltérables. La démarche oscille de l’éphémère à la conservation entre ésotérisme archaïque et velléité de pérennisation fétichiste. Dans l’espace du Musée d’Art moderne, l’artiste projette Partis pour Croatan, film documentaire qui tire son titre d’une légende indo-américaine rapportée par Hakim Bey. Le film présente une communauté de raveurs berlinois dont les vies sont suspendues à une intense expérience collective. Au c£ur d’une fête sans fin où la nuit ne tombe jamais, le spectateur perd ses repères temporels dans une enclave de plus en plus hermétique au monde. On pointera aussi le travail de Chen Yang, Chinois vivant et travaillant à Lyon, dont l’£uvre est essentiellement biographique. Au Palais de Tokyo, Chen Yang projette un film particulièrement intime, Instant (2). Posée sur le ventre du grand-père de l’artiste, une caméra enregistre le mouvement de sa respiration. Le souffle évoque ici la relation intermittente entre le passé et le présent, thématique qui revient sans cesse dans le travail de Yang. Autre vidéaste à interpeller l’£il du spectateur, Rebecca Digne présente Mains (3) au Musée d’Art moderne. Ce film 16mm d’une 1 minute 30 montre un jeune homme errant dans les bois avec les mains en l’air. L’interprétation est suspendue: s’agit-il d’un pèlerin en position christique ou d’un sans-papier en position d’arrêt… suspendu à un quelconque ordre de police survenant hors-champ? Une énigme identitaire totalement concentrée dans les mains du personnage. Très émouvant également est le travail de Laëtitia Badaut-Haussman qui rappelle les heures sombres de l’Occupation -la fameuse opération « Meubles »-, quand les Allemands entreposaient dans les sous-sols du Palais de Tokyo des centaines de pianos confisqués aux familles juives. Pour matérialiser-dématérialiser cet abominable vol légal, l’artiste a fait enregistrer par un pianiste une £uvre de musique sérielle – Musica Ricercata de Ligeti qui résonne en boucle dans la salle d’exposition. Une preuve supplémentaire que contrairement à Newspeak, Dynasty n’hésite pas à mettre le doigt où ça fait mal. Promenade esthétique rassurante à Londres ou nouvelles syntaxes à Paris? A vous de voir… l

Dynasty, au Musée d’Art moderne et Palais de Tokyo, à Paris. Jusqu’au 05/09.

www.dynasty-expo.com

Texte Michel Verlinden

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