EXPLOIT PHYSIQUE, PROUESSES ARTISTIQUES… GÉNIE DU SAXOPHONE BASSE QU’IL RÉINVENTE AVEC MAESTRIA, COLIN STETSON ÉRIGE CHACUN DE SES CONCERTS EN PERFORMANCE. LE 14 NOVEMBRE, LE COLLABORATEUR DE TOM WAITS, ARCADE FIRE ET TV ON THE RADIO SERA À L’AB. BLOWIN IN THE WIND…

Il a une carrure de GI. Des doigts comme des tentacules. Et des capacités respiratoires dignes de Jacques Mayol, le plongeur du Grand Bleu. Colin Stetson ne retient cependant pas son souffle. Colin Stetson le déchaîne. Il le déchaîne pour faire vibrer l’anche de son saxophone basse et réinventer les possibilités d’un instrument sacrément imposant qui ne court pas les salles de concert.  » J’utilise cinq micros, glisse-t-il fin août, à Liège, dans les coulisses du Micro Festival. Quand tu amplifies une partie de ton instrument, c’est comme si tu n’en prenais qu’un morceau en photo. Il y a plein de sons différents qui interviennent quand tu joues d’un sax et je veux permettre aux gens de l’entendre comme s’ils étaient assis sur mes genoux. Puis, j’aime le volume. J’aime que tout aille fort. »

Le saxophone basse possède l’une des tessitures les plus graves de la famille mais il se fait plutôt rare à cause de sa taille et de son coût. En jouer tient de la performance physique. Voire de l’exploit. Pour assurer, Stetson a arrêté de fumer, limite la bibine pendant ses tournées et pratique le yoga…

Agé de 37 ans, Colin a déjà soufflé pour Tom Waits, Arcade Fire, TV on the radio, Feist, Bon Iver, Timber Timbre, LCD Soundsystem, The National, David Byrne… Une liste qui laisse pantois, comme les disques du garçon signé sur le label Constellation. On aurait voulu le raccrocher à des musiciens comme lui qui, aventureux, seuls en scène, se créent un univers singulier uniquement armé de leur instrument. Dur dur.

 » Je vois clairement des liens entre ma musique et celle de tas d’autres artistes. Je sais les bouquins que j’ai lus. Les disques que j’ai écoutés. Et à force d’entendre et réentendre ce que je fais, je réalise comment mes idées se sont cristallisées. »

Colin est le fils d’un mélomane qui reprenait des chansons d’Iron Butterfly avec son groupe de collège et abreuvait son gamin de Jimi Hendrix quand il l’emmenait chaque semaine jouer au foot en salle. Précoce, le fiston craque pour le saxophone à cinq ans.  » J’aurais du mal à expliquer clairement pourquoi mais je me souviens encore de Who Can it be now?, le clip de Men at work sur MTV. J’ai tout de suite su que je voulais en tâter. » Il commencera dès l’âge de dix ans et s’intéressera à la face cachée de l’iceberg, aux fêlés comme John Zorn, lors de ses études à l’université du Michigan.

Stetson est un type curieux. Il revendique les influences de Bach, de Jimi Hendrix et du metal des débuts. Porte un t-shirt de Liturgy.  » J’adore ce groupe. Leur album Aesthethica est mon préféré depuis un bail. » Et vient de lire 1Q84, le dernier roman d’Haruki Murakami, Free Will de Sam Harris et Immortality de Stephen Cave.  » J’aime les histoires, ponctue-t-il. Un musicien doit être un storyteller. Le film par exemple est juste un autre moyen de les raconter. Je suis très excité par Terrence Malick, Christopher Nolan… »

Des gens qui comme lui ont une griffe, une patte.  » Les règles sont importantes dans la musique. Mais les règles que tu t’imposes. Je m’en suis fixé une et elle est primordiale pour moi: pas d’effet. Tout est réalisé dans l’instant. C’est un peu l’équivalent du Dogme dans le cinéma. La performance est capturée par l’enregistrement. Rien ne peut être ajouté. »

« Ornette a tout changé… »

Déjà du genre bavard, Colin Stetson devient intarissable quand on le questionne sur ses héros et met le sujet des plus grands saxophonistes sur le tapis.  » C’est ingrat de résumer et ça me fait mal de simplifier mais je peux jeter quelques noms en pâture. Ben Webster d’abord. J’adore la simplicité de ses mélodies. La clarté de son son. Sa personnalité. Ornette Coleman évidemment. Ornette a tout changé dans la musique. Il a changé beaucoup de choses pour son instrument. Mais il a modifié à tout jamais la musique. Pas juste le jazz. La musique. On pourrait passer des jours à en parler. Il a remis toutes les règles en question. Il les a réinventées. Comme John Cage l’a fait dans son domaine. Obsédés et guidés par leur vision, leur intégrité, ces types ont envoyé tout le monde se faire foutre. Et ils ont changé l’Histoire. »

Stetson revendique encore l’influence d’Henry Threadgill – » c’est l’un de mes compositeurs préférés de tous les temps« – et a toujours été fan de Tim Burton des Mighty Mighty Bosstones.  » Ces dix dernières années, la musique a beaucoup changé et elle le doit en grosse partie à Internet qui a abattu les frontières. Avant, tu n’allais que dans le rayon que tu aimais d’un magasin. Maintenant, les gens partagent tout en ligne. Les idées sont plus présentes et infectieuses. Les gens sont plus ouverts aussi. » Le 9 novembre, Stetson sortira un album, Stones, avec le Suédois Mats Gustafsson chez Rune Grammofon. L’enregistrement du premier concert qu’ils ont donné ensemble.  » Je joue de la musique libre et improvisée depuis des plombes. Ce n’est pas quelque chose de nouveau. Mais les gens le savent moins. Mats est l’une de mes grandes influences. Et ce depuis que je suis gamin. »

Colin a aussi prévu un nouvel album solo, son troisième, pour l’année prochaine.  » J’ai plus qu’une idée. Je travaille là-dessus depuis longtemps. C’est un processus qui me prend beaucoup de temps. Mais le plus dur, c’est d’être à la maison pour pouvoir avancer parce que je sais exactement comment il va sonner. J’ai le disque dans ma tête. Je dois le mettre sur bandes… » On tend déjà l’oreille.

LE 14/11 À L’AB CLUB.

TEXTE JULIEN BROQUET

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