PABLO LARRAIN APPORTE LA DERNIÈRE TOUCHE À SA TRILOGIE CONSACRÉE AUX ANNÉES PINOCHET AVEC NO, UN FILM FASCINANT REVISITANT LA CAMPAGNE RÉFÉRENDAIRE QUI DEVAIT MARQUER UN TOURNANT DANS L’ HISTOIRE DU CHILI.

Guère connu du grand public, Pablo Larrain s’est, depuis quelques années déjà, imposé dans le circuit des festivals internationaux: Tony Manero, le second long métrage du cinéaste chilien, avait eu les honneurs de la Quinzaine des Réalisateurs en 2008, avant que Post Mortem n’illumine -façon de parler- la Mostra de Venise deux ans plus tard. Quant à No (critique en page 30), le dernier volet de sa trilogie revisitant la période sombre de la dictature d’Augusto Pinochet, il allait marquer les esprits lors de la Quinzaine cannoise en 2012, avant d’être nommé à l’Oscar du meilleur film étranger; de quoi assurer une visibilité largement méritée à un film rien moins que fascinant. Larrain y revient sur une page d’Histoire essentielle même si quelque peu oubliée, lorsque le général Pinochet, cédant à la pression internationale, dût organiser, en 1988, une consultation pour décider de son maintien au pouvoir. Chaque camp disposant de quinze minutes quotidiennes d’antenne télévisée, l’opposition allait se fédérer autour du No, confiant sa campagne à un jeune publicitaire aux dents longues et aux idées audacieuses, voire révolutionnaires, faisant entrer la politique dans l’ère du marketing…

No est votre troisième film consacré à l’époque de la dictature chilienne. Qu’est-ce qui vous y ramène toujours?

Je n’envisageais pas de tourner une trilogie au départ, tout cela s’est fait spontanément, un film venant après l’autre. C’est une époque fascinante, à propos de laquelle subsistent beaucoup de questions, comme s’il y avait une vérité invisible derrière les faits. On cherche les réponses, mais on ne trouve pas. Je pensais moi-même arriver à comprendre avec mes films, mais je dois bien admettre qu’il n’en est rien.

La question de la dictature est-elle encore au coeur de la société chilienne aujourd’hui?

C’est une blessure ouverte. Nous n’avons jamais obtenu justice: Pinochet est mort libre, et millionnaire. La plupart de ceux qui ont violé les Droits de l’Homme et ont pratiqué la torture continuent à marcher librement dans la rue. Dans ces conditions, on ne peut revenir à l’équilibre, la société reste fort divisée.

Dans quelle mesure votre film est-il le reflet fidèle des faits qui se sont produits à l’époque du référendum?

No est ancré dans les faits, mais c’est une fiction, avec les choix et l’arbitraire que cela suppose. Pendant trois ans, nous avons fait des recherches approfondies et avons rencontré beaucoup de protagonistes de cette histoire pour savoir ce qui s’était passé, jusque dans les détails. Nous avons ensuite mis ces événements en perspective à travers la fiction. Le film n’a pas la prétention d’être un livre d’histoire qui pourrait être utilisé comme tel.

No interroge cette réalité, en mélangeant des images d’archives à celles du tournage, filmées dans les conditions d’époque, avec des caméras vidéo. Pourquoi avoir procédé de la sorte?

Nous savions que nous allions recourir à beaucoup de matériel d’archives. Si le film avait été tourné en HD, le regard n’aurait pas cessé d’être distrait, du fait du recours à des sources d’images différentes. C’est pourquoi nous avons veillé à créer une illusion, avec ce type d’images qui font remonter des souvenirs et des sensations liés à une période précise dans le temps. Et si les questions techniques ont pu se révéler épineuses, ce format étant obsolète, nous avons su, à force de travail, obtenir un résultat identique à celui des années 80.

S’agissait-il aussi, avec le recours à l’image vidéo et au format 4:3 de vous inscrire en faux par rapport à la toute-puissance de l’image standardisée en HD?

Plusieurs éléments sont entrés en ligne de compte. Le plus important était d’éveiller, au sein du public, le souvenir de cette époque précise. Venait ensuite cette illusion que nous voulions créer. Et puis, enfin, une contestation, modeste, de l’hégémonie de la HD. Tous les films et toutes les images sont désormais fort semblables, et cela me paraît dangereux. Quand une image ressemble à toutes les autres, elle perd son âme.

Quel est votre sentiment personnel à l’égard de cette campagne finalement très moderne, en ce sens qu’elle recourt aux instruments classiques de la publicité?

Cet élément contemporain m’intéressait. Ces faits se sont produits il y a 25 ans au Chili, et ont l’air uniques, éloignés et locaux, mais partout où le film a été montré, il a suscité des réactions étonnantes, comme si chacun y projetait ses propres réflexions et envisageait l’histoire à travers sa propre biographie ou sa situation politique. Mais il y a des questions que je préfère ne pas trop déflorer: je ne veux pas donner toutes les clés du film au spectateur, mais bien lui laisser le soin de les découvrir.

A quel niveau pensez-vous que ce film résonne avec le monde d’aujourd’hui?

No est à bien des égards une réflexion sur la démocratie. J’ai la conviction que la démocratie est sans conteste le seul système possible, même si elle prend l’eau et s’avère loin d’être parfaite. C’est aussi un système qui a induit une distance énorme entre les riches et les pauvres, et qui a créé un manque d’égalité dans le monde. Ce sont, à mes yeux, des choses dont il convient de se soucier.

ENTRETIEN JEAN-FRANÇOIS PLUIJGERS, À PARIS

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content