New York stories

Avec New York, Lou Reed adressait une lettre empoisonnée à sa ville natale. © GETTY IMAGES

En 1989, Lou Reed critique les effets de la société ultralibérale américaine sur son album le plus politique, aujourd’hui réédité et coffré. New York, New York…

« Give me your hungry, your tired, your poor. I’ll piss on’em. That’s what the statue of bigotry says… » Lou Reed a souvent décrit les rues de New York dans ses chansons urbaines et les pépites crasseuses du Velvet Underground, mais rarement il a dépeint la pauvreté de sa ville natale aussi directement que sur Dirty Blvd. C’est l’histoire de Pedro, qui passe ses journées sur des bouts de caisses en carton devant le Wilshire Hotel et ses chambres à 2 000 boules par mois. Il regarde les limousines des stars de cinéma défiler et un gamin vendre des roses en plastique pour 1 dollar. Pedro a neuf frères et soeurs et un père violent qui le tabasse parce qu’il est trop fatigué pour mendier.

Débarrassé de ses diverses dépendances grâce aux réunions quotidiennes d’une association d’anciens toxicomanes anonymes, le Lou Reed des années 80 est plutôt assidu, discipliné et aussi un peu paumé. Engagé, il participe à l’enregistrement d’un hymne démocrate et se produit au Farm Aid organisé par Neil Young et Willie Nelson pour aider les fermiers texans victimes de la sécheresse. Il joue dans des concerts de soutien à Amnesty International, s’investit avec Bob Dylan et Bono contre la ségrégation raciale en Afrique du Sud et prend position pour la libération de Nelson Mandela. Mais d’un autre côté, l’insaisissable Corbeau (The Raven comme il a été surnommé) participe à des campagnes de pub pour American Express, IBM et les scooters Honda.

À la mort en 1987 de son mentor Andy Warhol qui l’avait baptisé « le prince de la nuit et des angoisses », Reed se rapproche de ses anciens comparses du Velvet. Il collabore avec la batteuse Moe Tucker et se réconcilie avec John Cale. Il enregistrera d’ailleurs avec lui un album hommage ( Songs for Drella) au roi du Pop Art. À l’époque, Lou entame aussi l’écriture de New York, son disque le plus politique. Un acteur hollywoodien de second plan, Ronald Reagan, est alors depuis six ans à la tête du pays. Il soutient les mouvements anticommunistes du monde entier, augmente drastiquement les dépenses militaires, relance une course à l’armement avec l’Union soviétique et surtout tue les États-Unis à petit feu, y creusant cruellement le fossé entre les riches et les pauvres.

New York stories

Shakespeare, l’exclusion sociale, le sida et le Viêtnam…

« Cet album a été principalement enregistré dans l’ordre que vous avez ici. Il est destiné à être écouté d’une traite de 58 minutes (14 chansons) comme s’il était un livre ou un film.  » Le livret fixe les règles. New York est sans doute l’album le plus conceptuel de Lou Reed. Il traite d’exclusion sociale, du sida ( Halloween Parade) ou encore des ravages de la guerre du Viêtnam à travers l’histoire d’un vétéran tombé dans la misère ( Xmas in February). Romeo Had Juliette revisite la légende shakespearienne sur le bitume. Hold On décrit l’insécurité en ville. Sick of You épingle la violence amplifiée par les médias.

Clairement rock, simple, direct et efficace, New York est une lettre empoisonnée à sa ville natale. À travers son album, Reed semble utiliser la Grosse Pomme (pourrie pour le coup) comme un microcosme des États-Unis. « C’est effroyable ce qui est arrivé à New York en huit ans de Reagan à la Maison-Blanche, déclarait-il au Melody Maker. Surtout quand tu réalises que ça ne doit pas se passer comme ça. On pourrait faire quelque chose. Et le fait que rien n’est fait me rend fou. L’administration Reagan a été le gouvernement le plus corrompu de l’Histoire américaine moderne. Et maintenant on a George Bush… »

Dans une interview de l’époque qui circule encore sur YouTube, Reed dit avoir abandonné les études de journalisme dès qu’il a compris qu’il devrait laisser ses opinions en dehors de ses articles. Il ne se prive pas par contre de les partager dans ses chansons. « Beaucoup des choses que je raconte (dans New York, NDLR) sont récurrentes. Les noms ne comptent pour ainsi dire pas. Peu importe quel flic va tirer. Qui a fait ceci ou cela. Ça se passe partout et tout le temps. Chaque semaine et dans chaque ville. Tu peux changer les noms. Ça reste la même histoire. »

Repris par Bob Seger en 2017, Busload of Faith, qui dépeint une vie effroyable à laquelle seule une confiance sans limite permet d’échapper, semble écorner Donald Trump. « You can’t depend on the President / Unless there’s real estate you want to buy. » New York est moins prophétique que brillant. C’est un regard profond, une observation perçante et clairvoyante de la nature humaine signée par un poète du rock et de la rue.

Alors que se profilent à l’horizon les élections américaines avec la menace d’un nouveau mandat trumpien, Rhino Records et les ayants droit de Lou Reed proposent donc un joli cadeau à glisser sous le sapin. Le coffret, dont la sortie est fixée au 25 septembre, comprend une édition CD augmentée du classique (trois disques) et un double vinyle. Il renferme 26 titres studio et lives inédits issus de ses archives et la première parution en DVD de The New York Album, un concert filmé et rare enregistré au Théâtre Saint-Denis de Montréal.

LOU REED, New York, distribué par Rhino/Warner.

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