New York, New York

Institution aux États-Unis, Joseph Mitchell a marqué toute une génération de lecteurs du New Yorker. Son Old M. Flood sort en français.

Encore un de ces auteurs dont on est tenté de préférer la vie à l’oeuvre… On exagère, mais tout de même: Joseph Mitchell, reporter légendaire du mythique New Yorker, célébré pour ses portraits de marginaux et d’inconnus d’un New York aujourd’hui oublié, est aussi réputé pour s’être présenté chaque matin à son bureau sans publier le moindre article pendant plus de 30 ans!

Adulé aux États-Unis, Joseph Mitchell est quasi méconnu dans nos contrées. Ses articles n’ont commencé à être traduits en français qu’il y a quelques années, et les éditions du Sous-sol -quelle bonne idée! -semblent bien décidées à poursuivre l’importation de ces textes sacrés et récidivent aujourd’hui avec Old M. Flood et Arrêtez de me casser les oreilles.

Fruitdemerien

Né en Caroline du Nord en 1908, Mitchell débarque en 1929 à New York, où il devient reporter. En 1938, il est engagé par le New Yorker. Encouragé par le rédacteur en chef en place, William Shawn, il s’adonne alors à la rédaction de portraits très différents des articles de presse conventionnels. Il traîne dans les bas-fonds, et se fait la voix des marges. Mieux, bien avant Tom Wolfe et son Nouveau Journalisme ou Hunter S. Thompson et son délirant gonzo, Mitchell insuffle un vent de fraîcheur au journalisme à papa: à partir de trois fois rien, il fabrique des récits à la première personne absolument passionnants, qui contribueront grandement au succès du New Yorker.

New York, New York

C’est le cas de ce truculent Old M. Flood: un vieil homme de 93 ans qui clame à qui veut l’entendre que son but ultime est d’atteindre l’âge canonique de 115 ans, et qui se dit  » fruitdemerien« .Qu’il s’agisse en fait, selon l’aveu de Mitchell, d’un « portrait composite » et qu’il n’existe pas réellement de M. Hugh Flood à New York n’a guère d’importance: en en appelant à la fiction et en se basant peut-être bien sur de multiples vieux bonshommes fantasques croisés eux aussi au marché aux poissons de Fulton Street -et eux aussi littéralement obsédés par les fruits de mer-, Mitchell touche à l’authenticité de ces personnages qu’il côtoie si régulièrement, lui qui ne se sent jamais aussi bien que dans les vieux ports, les bars reculés, ou à proximité de ce fichu marché.

Et cette histoire de 30 ans à ne rien faire alors? à partir de 1965, outre un texte pour les 125 ans de son bar favori, le McSorley’s, il n’a effectivement rien publié pendant ses 30 dernières années au New Yorker. Peu motivé par Shawn, qui certainement pour services rendus à la nation New Yorker, lui laisse une paix royale, il s’empêtre dans son projet de grand livre sur New York, et dans la dépression. Il s’investit par contre dans les affaires familiales, mais en termes de publication, il n’avancera plus. Mitchell restera au journal jusqu’à sa mort, en 1996. Avec, certes, une productivité toute relative, mais à jamais le statut d’un grand écrivain.

Old M. Flood

De Joseph Mitchell, éditions du Sous-sol, traduit de l’anglais (États-Unis) par Lazare Bitoun, 128 pages.

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